Quand un copain blogueur commence une bande dessinée sur une randonnée, difficile pour moi de passer à côté ! Au bout de plus de 70 pages de marche, il était temps de faire le point sur « Coquillard » avec Philgreff.
Philgreff, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Je m’appelle Philgreff (Philippe Greffard), j’ai 52 ans, trois enfants, célibataire, je vis à la Roche sur Yon en Vendée. Je suis aujourd’hui illustrateur indépendant après avoir été tour à tour peintre en lettres et formateur en Centre de Formation d’Apprentis de l’enseignement agricole et après avoir également effectué plein d’autres petits boulots. Je passe donc mon temps entre les commandes de clients, mes projets de dessins perso et les angoisses financières…
Peux-tu nous présenter ton projet « Coquillards » ?
« Coquillards » est le récit d’un voyage à Saint Jacques de Compostelle que j’ai réalisé en 2000, à pied, avec un camarade.
J’avais depuis longtemps l’idée de raconter en BD ce pèlerinage mais n’osais pas me lancer jusqu’alors. Au début des années 90, j’ai passé pas mal de temps en Galice (dont Santiago est la capitale politique) et je voyais parfois passer des pèlerins. Je m’étais alors dit que je ferais ce chemin un jour ou l’autre. De retour en France, j’en parlais souvent et beaucoup de copains me disaient : « un jour on ira », mais rien ne se passait.
Seul, je n’aurais pas osé, jusqu’à ce que que Florian me dise « on y va » en fixant une date de départ. Sans lui, je ne serais jamais parti ! Ce gars avait déjà l’habitude de voyager un peu à l’arrache en bus, je n’ai fait en gros que le suivre. Après Compostelle, il a d’ailleurs continué à voyager, seul et à bicyclette, notamment jusqu’au delà du cercle polaire ou encore à Istanbul. Il a également sillonné l’Espagne plusieurs années à la rencontre de vétérans républicains de la guerre d’Espagne et il en a tiré un livre : « Espagne : les chemins de la mémoire antifasciste » aux éditions No Pasaran (dont j’ai un exemplaire dédicacé à la maison). Florian est un militant antifa depuis très longtemps, j’avais d’ailleurs été étonné qu’il se lance sur les traces d’un pèlerinage chrétien, mais c’est un gars curieux de tout, écrivain et poète. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages littéraires.
Lors de ce voyage à Compostelle, nous tenions chacun un petit carnet de route, mais je n’y ai pas fait de dessins. Plus tard j’ai peint une douzaine de toiles à partir des photos que nous avions faites, mais ce n’est que fin 2016 que j’ai repris mon carnet de notes pour mettre ce voyage en BD.
De nombreux pèlerins écrivent un livre suite à leur pèlerinage, mais en BD cela n’existait pratiquement pas, ou alors avec un cadre fictionnel et historique (je pense à « Campus Stellae » ou à Servais et « Les chemins de Compostelle ») jusqu’à la sortie il y a peu de l’ouvrage de Jason « Un Norvégien vers Compostelle ». Alors je m’y suis mis…
Pourquoi ce nom « Coquillards » ?
C’est ainsi que nous a nommé le curé de Tonnay-Boutonne, car il a deviné que nous n’étions pas des pèlerins très religieux.
Les pèlerins depuis le Moyen-Age avaient pour habitude de rapporter des coquilles Saint-Jacques que l’on trouve au cap Fisterra après Compostelle, c’était avant la découverte du Nouveau Monde le bout de la terre ! En portant leurs coquilles sur leurs vêtements, ils pouvaient facilement être identifiés en tant que pèlerins.
Mais très vite, des gens mal intentionnés ont repris ces attributs pour se faire passer pour des pèlerins et abuser de la confiance des autres, au mieux pour profiter du gîte et du couvert, au pire pour commettre les pires atrocités. Le nom de « Coquillards » a dès lors servi pour dénommer les faux pèlerins avant de devenir un véritable synonyme de va-nu-pied et de brigand.
Tels les deux compères, tu avances à un rythme régulier, sans faiblir…
A vrai dire, j’ai un peu ralenti le rythme, soit parce que j’avais des travaux de commande en cours, mais aussi parce que pendant les vacances scolaires, avec les enfants à la maison, je prends moins de temps pour dessiner. J’aimerais pouvoir faire plus, mais une planche me prend une grande journée (je devrais même y passer plus de temps, histoire de fignoler, mais le fignolage et moi, ça fait deux). Je dessine aussi parfois la nuit…
Le principal intérêt de l’ouvrage, c’est les rencontres avec les curés…
Le principal intérêt c’est effectivement les rencontres, et il est vrai que dans la première partie nous rencontrons principalement des curés. Il faut savoir qu’étant partis de chez nous, nous n’avons pas emprunté la route la plus fréquentée du pèlerinage, il n’y avait donc pas ou peu de gîtes pour pèlerins (ce n’est plus le cas aujourd’hui : l’année 2000, 50 000 personnes ont parcouru le chemin, en 2016 ce sont 350 000 pèlerins. Les hébergements se sont donc développés un peu partout) et nous avions l’idée de demander asile dans les presbytères. Les dix premiers jours, c’est ce qui s’est passé, mais ensuite, nous avons dormi dans des haltes prévues pour pèlerins et quelques fois à l’hôtel.
C’était intéressant de rencontrer ces prêtres, cela nous a donné un petit panorama de l’état de l’Église à l’époque. Je crois que cela a changé depuis, et pas forcément dans le bon sens, avec un retour en force de jeunes traditionalistes. En 2000, nous avons surtout rencontré de vieux bonshommes fatigués…
Pour le moment, nos deux compères sont un peu isolés, à quand une
rencontre avec d’autres marcheurs ?
Sur l’ensemble des pèlerins de Saint Jacques, les Français ne représentent qu’un peu moins de 4%, et la plupart partent du Puy en Velay. Sur notre route peu fréquentée par les pèlerins (qui pourtant à partir de Saintes et qui est une très ancienne et officielle route de Saint Jacques), nous n’avons rencontré aucun autre marcheur avant le Pays basque. Mais à partir de Saint Jean Pied de Port et surtout de Roncevaux, il y avait parfois foule (je n’ose imaginer ce que ce doit être aujourd’hui avec sept fois plus de monde !) et quelques personnages hauts en couleurs !!! Le chemin draine toutes sortes de gens, les religieux, les spirituels, les sportifs, les historiens, quelques fous et aussi ceux qui sont là sans trop savoir pourquoi comme nous…
Les deux personnages marchent. Ils arrivent à un village. Ils trouvent l’hébergement. Ils repartent… N’as-tu pas peur de lasser à force ?
C’était effectivement une de mes peurs, jusqu’à ce que je lise l’ouvrage de Jason où on retrouve aussi cette monotonie de jours qui se suivent et se ressemblent. Finalement, c’est difficile de faire autrement si on veut raconter la réalité : on marche, on mange, on cherche où dormir, on dort et on repart…
De plus, je voulais souligner la lenteur du voyage. On retrouve ainsi beaucoup de vignettes qui se ressemblent : deux gars qui marchent dans la campagne. C’est voulu, il faut du temps pour changer de paysage quand on est à pied. Et encore lorsque je relis les planches à la suite, je trouve même que c’est très rapide…
J’avoue que je dois tout de même me faire violence pour ne pas aller plus vite dans le récit. J’ai hâte d’arriver au Pays basque et de dessiner le passage du col de Roncevaux, mais il faut bien d’abord montrer le marais poitevin, les champs de blé, de maïs et de tournesols de l’Aunis et la Saintonge, les vignobles du Bordelais… Et à venir… La forêt des Landes !!! Là je dois dire que j’angoisse un peu, car ce sont six journées dans la forêt entre Bordeaux et Dax, on risque bien une certaine monotonie !
Combien de pages durera le voyage ?
Je pense que le tout devrait atteindre 350 pages environ. Je n’ai pas fait un découpage précis jusqu’au bout (je le fais sur environ dix pages avant de passer aux dix suivantes, et même là il change parfois en cours de route), j’ai donc encore du boulot avant le dénouement puisqu’au moment où j’écris ces lignes, seules 75 pages sont achevées !
Une publication papier est-elle prévue ?
J’y pense énormément. L’idéal serait une publication de l’ensemble, ce serait cohérent, mais comme je n’ai pas d’éditeur, je vais certainement faire ça en auto-édition. Or si je fais un pavé de 350 pages couleurs, le coût du bouquin sera prohibitif. je vais donc scinder mon récit en quatre parties. Il y aura quatre bouquins (le premier contera le voyage du départ jusqu’à Gradignan en banlieue sud de Bordeaux, le second nous amènera jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, le troisième suivra le camino frances à travers la Navarre et la Castille, et le dernier nous conduira jusqu’à Santiago).
Raconte-nous un peu comment tu travailles.
Tout d’abord, pour chaque journée que je raconte, je relis le petit carnet où j’ai écrit mes notes il y a 17 ans. Je me remémore aussi ce que je n’y ai pas consigné et qui pourrait notamment être intéressant. Je fais alors le découpage des planches pour la narration d’une journée. Il me faut passer aussi à la partie documentation. J’ai peu de photos (c’était encore de l’argentique à l’époque), je vais sur les sites des communes traversées, j’utilise beaucoup Google Earth.
En 17 ans énormément de choses ont changé ! Et il doit parfois y avoir quelques anachronismes dans mon récit, j’essaie toutefois d’être le plus fidèle à 2000… Cette partie n’est pas la moins intéressante mais demande pas mal de temps (je me souviens avoir commencé à dessiner des éoliennes avant de me poser la question de savoir si elles étaient là en 2000. Il m’a fallu chercher un peu pour finalement renoncer à mes éoliennes, elles ne dataient que de 2004…). Retrouver des traces des personnes rencontrées est aussi intéressant… Dans ma BD, certaines personnes dessinées ne ressemblent pas forcément à ce qu’elles étaient physiquement, d’autres si.
Pour le dessin, je fais une sorte de storyboard vite crayonné au stylo-bille. si celui-ci me va, je fais un crayonné au crayon de bois, puis j’encre au stylo-bille. Ensuite je fais les couleurs à l’aquarelle avant de reprendre un nouvel encrage au stylo-bille.
Ensuite je scanne, mais n’étant pas du tout un technicien, je n’ai pas de réglage spécifique du scan…
Tu mets un point d’honneur à publier chaque jour quelque chose sur ton
blog, quitte à ressortir des « vieilleries »…
Je crois que c’est d’ordre psychologique, je ne sais pas en fait, pour m’imposer une certaine rigueur peut-être avec une régularité de publication… Il faut que je demande à mon docteur…
Peux-tu nous parler du projet « Portraits de Jean » ?
« Portraits de Jean » est né de ma rencontre avec Pyl, auteur-compositeur-interprète, il avait vu ma série de monstres « Jean-Quelque chose », et j’avais fait une caricature de « Michel et Jean-Guy » son groupe de rock dont j’étais fan. Il m’ a alors contacté pour me demander d’illustrer une de ses chansons, lui aussi faisait des « Jean-quelque chose » en chansons… Mon dessin lui a plu, nous en avons alors fait d’autres jusqu’à arriver à 50 « Jean » .
Nous avons d’abord publié chansons et dessins sur internet, puis il les a interprétées sur scène, d’abord seul avec la projection des dessins, mais très vite il m’a demandé si je pouvais l’accompagner sur scène et dessiner en direct. En 2015 et 2016, nous avons donc fait pas mal de dates, ainsi que quelques festivals. Nous avons également tourné quatre clips de « Portraits de Jean ».
Cette année, c’est plus calme : un festival à Niort en début d’année, deux dates en été… Mais le projet est toujours vivant ! C’est que le Pyl a aussi des projets parallèles: « Michel et Jean-Guy » qui vient de sortir un CD trois titres après avoir fait la première partie des Wampas, mais aussi « Petit Pyl et Tropical Joe », un spectacle pour enfants avec lequel il a beaucoup tourné cette année.
Des dates de prévues ? Quelles suites à ce projet ?
Pour le moment, une date fin juillet, d’autres sont en cours de négociations. Nous aimerions sortir un livre-CD contenant les 50 chansons et leurs dessins, tout ça est aussi en cours de discussion.
Enfin, je sais que Pyl a dans ses cartons au moins 12 nouvelles chansons de prêtes, reste à trouver le temps pour nous y atteler…
As-tu d’autres projets dont tu voudrais nous faire part ?
A l’instant présent, je me demande surtout comment je vais combler mon découvert à la banque…
Plus sérieusement, tout d’abord continuer « Coquillards ». Ensuite, j’ai un truc de prévu en novembre, c’est une commande, et c’est un super projet puisqu’il s’agit de réaliser un carnet de voyage à l’étranger… Je n’en dis pas plus pour le moment…
Avec Pyl, peut-être sortir une version papier de « Il faudrait », une série de strips en deux cases. Une grosse fête avec l’équipe des dessinateurs et journalistes du « Sans-Culotte 85 » en octobre… Voilà, voilà… Le reste tient plus du fantasme que du projet…
Voilà le moment où tu nous parles d’un artiste/copain/blogueur auquel tu voudrais faire un peu de pub…
Je souhaiterais ici parler de mon copain Jean-Marie Meriau qui est un super dessinateur ! Il n’a pas de blog, mais une page facebook où on peut voir son travail.
Jean-Marie c’est tout le contraire de moi en dessin, il est minutieux, pointilleux, il prend le temps de bien faire, de très bien faire les choses, donc il passe beaucoup de temps sur un dessin. C’est un rêveur très imaginatif mais très rigoureux, critique sévère envers lui-même et envers les autres (il me dit toujours: « si tu passais ne serait-ce que 30% de temps en plus sur ce que tu fais, tu arriverais à faire des choses extraordinaires », oui mais voilà, moi je suis tout brouillon…).
J’aime beaucoup bavarder avec lui autour d’une bière ou d’un petit café, on parle de dessin, de BD, de cinéma et de notre incompréhension des femmes…
Allez voir le travail de JMM ! C’est fantastique !
Un dernier mot pour la fin ?
Merci Belz !
Le blog: http://philgreff.blogspot.fr/
La page Facebook: https://www.facebook.com/lesdessinsdePhilgreff/
Les livres: https://www.thebookedition.com/fr/21908_philgreff
Portraits de Jean
Les chansons de Portraits de Jean en écoute sur : https://soundcloud.com/portraitsdejean
La page Facebook de Portraits de Jean : https://www.facebook.com/portraitsdejean/
Les clips de Portraits de Jean: https://www.youtube.com/channel/UCi9XGXI592GnxumVcnb4LJw
Le site de Pyl: http://lamaisonpyl.wixsite.com/lamaisonpyl
Le dernier bouquin de Florian: http://www.reseau-nopasaran.org/catalogue/product_info.php?products_id=933
Merci Belz pour ce petit entretien ! 😉
De rien !
Superbe interview !!! Bravo !
Merci !
Ceci explique cela ! 🙂
On en apprend bien des choses…
Du coup, la préface du premier volume est toute trouvée 😉
Merci pour ton commentaire !