Découvert lors de la matinale en cavale de Short Edition, Le Pueblo m’a vite tapé dans l’œil et je n’ai pas tardé à suivre ses activités de près. A l’occasion du lancement d’une campagne Ulule, il me semblait opportun d’aller lui poser quelques questions sur sa vie et ses œuvres.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Salut ! Je m’appelle Pablo et mes 29 ans approchent paisiblement. Je vis à Grenoble, d’un travail alimentaire peu épanouissant qui me laisse tout juste assez de temps pour être débordé par mes envies de dessin et de musique. J’aime dessiner depuis toujours mais n’ai jamais réussir à ne faire que cela.
Pourquoi le pseudo « Le Pueblo » ?
C’est venu il y a très longtemps. Chilien d’origine, je cherchais une consonance hispanique pour un pseudo qui serait proche de mon prénom. En espagnol, « Pueblo » a deux sens qui me correspondent : « le peuple » pour sa voix, sa ferveur contestataire, mais aussi « le village » pour son calme, l’intimité de son isolement. C’est donc un patronyme qui symbolise la dualité des choses.
J’aime les jeux de mots et l’ironie, l’absurde au service du rire, et la gaufre à la vanille.
Pourquoi avoir créé ton blog « L’atelier du Pueblo » ?
Créer ce blog, c’était au départ partager ce que je faisais, sans prétention. Et puis, comme on me disait trop bavard, j’en ai profité : dessiner pour ce blog, c’est parler par images, sans risquer jamais d’être interrompu (quel magnifique égocentrisme !). Mais ça ne justifie pas pour autant le propos. J’aime les jeux de mots et l’ironie, l’absurde au service du rire, et la gaufre à la vanille. C’est ce que j’essaie de transmettre, plus ou moins maladroitement !
Finalement avoir créé un blog c’est un pacte terrible avec soi-même. Une malédiction qui nous pousse à créer sans lendemain. Les lecteurs ne s’imaginent souvent pas toutes les difficultés que cela peut impliquer. C’est pire qu’un tamagotchi chronophage.
Tu es très éclectique sur ton blog…
A l’intérieur du tube digestif, tous les aliments sont mélangés. J’aime penser que dans la création c’est la même chose. Tout ce qu’on voit ou ingère inconsciemment fait de l’ingrédient pour ce qui sort de nous (par le stylo, bien entendu). A moins d’être un illustrateur pur, de ne faire que de l’image, on utilise des mots. C’est peut-être seulement pour un titre, pour un seul phylactère, mais on est obligé de s’intéresser à la beauté du langage et de ses symboles.
Dès lors tout est agréable à créer : strips, textes purs, histoires longues et à peine illustrées, cases vides. Lorsque j’imagine un scénario, il y a forcément un format qui lui convient mieux que les autres. J’ai nommé le blog « atelier » car j’y montre un peu tout ce qui passe par mon broyeur créatif. également ce qui n’est pas abouti, ce qui est raté. Et également ce qui peut m’inspirer.
Tu souhaites faire un recueil papier de ton blog. Pourquoi ?
C’est pour que ça reste. Il ne faut pas se voiler la face, le blog n’est qu’un minuscule coin de toile internet et très peu de personnes s’y rendent fréquemment, même parmi mes proches. Transformer ces pixels en papier que l’on peut toucher, c’est toucher énormément plus de personnes à travers lui. Mais ce n’est pas tout, c’est aussi partir à l’assaut du temps. Être dans une bibliothèque, c’est un accomplissement gigantesque pour un humble gribouilleur! Comment savoir ce que sera devenu internet dans 5 ans ? Dans 10 ans ? Alors que dans 30 ans, il y aura toujours des enfants pour découvrir les vieux ouvrages sur les étagères, comme j’ai moi même eu la chance de découvrir du Gotlib, du Van Hamme, du Fabcaro. C’est là-dessus que je mise.
N’as-tu pas peur que la variété des contenus proposés nuisent à la cohérence de l’ouvrage ?
Au début j’ai hésité quant à la nature hétéroclite des contenus. J’avais trop peu de textes et d’illustrations pour ne mettre que ça. Ne mettre que des strips aurait signifié embarquer certaines imperfections au lieu de prendre des illustrations qui me tiennent à coeur, ne montrer qu’une seule partie de l’iceberg. Alors j’ai décidé de tout mettre. De voir l’ouvrage comme un recueil de nouvelles dessinées : chacune diffère par son ton, sa durée, son sujet. Ca me permet également de ne pas mentir : en moi, c’est désordonné, il y a de tout, partout. Finalement, la cohérence se trouve au niveau de l’humour obstinément limité qui scelle les gags de ces pages.
Pourquoi avoir utilisé le financement participatif ?
J’avais déjà imprimé un recueil en 2011, mais cela m’avait coûté une fortune. Estimer les ventes avec succès avant de faire imprimer dans les quantités nécessaires relève du miracle. Seul un fou s’y risquerait (ou une maison d’édition)! Se tourner vers le financement participatif permet d’être sûr de rentrer dans ses frais, mais surtout de prendre la température des lecteurs. Grâce aux plateformes de plus en plus visités, c’est aussi l’occasion de toucher un public qui ne nous connaît pas encore.
La campagne est une véritable réussite… C’est une surprise pour toi ?
Oui ! Je ne pensais pas du tout dépasser ainsi des plafonds immenses. J’avais même peur de ne pas atteindre la somme minimale nécessaire au lancement du projet. Les investisseurs sont définitivement fous d’investir dans du Rêve et du Rire! Ça ne paiera pas leur retraite !
La seule raison qui me pousserait à sortir du monde plein de possibilités de l’auto-édition, c’est le réseau de librairies.
Après plusieurs bouquins en auto-édition, envisages-tu de proposer un projet BD à des éditeurs ?
Je suis tout nouveau dans l’auto-édition, quand je regarde autour de moi! Mais j’aimerai proposer un projet BD humoristique à des éditeurs, pour étendre encore le nombre de personnes que je pourrais faire rire. La seule raison qui me pousserait à sortir du monde plein de possibilités de l’auto-édition, c’est le réseau de librairies.
Tu participes au site Short Edition…
Au départ c’était pour participer à un nouveau type de site de lecture en ligne. Mes dessins en une ou deux images correspondaient bien au principe de la plateforme, et il y avait à la clef la possibilité d’être édité. Ensuite, j’ai plutôt participé pour voir quel était la réponse du lecteur à mes dessins.
Le système de vote de Short Edition te paraît-il pertinent ?
Pas vraiment. La possibilité de voter pour tout le monde n’aide pas les auteurs à se différencier. Néanmoins, j’ai du mal à imaginer mieux, outre un système à voix unique pour les phases finales. J’ai observé que la façon de voter était assez étrange : chaque personne voit sa réussite augmenter grâce à l’ampleur de son réseau, et non grâce à la portée de l’oeuvre présentée.
Il y a toujours le choix du comité Short-Edition, qui peut propulser des oeuvres en finale, mais j’ai eu du mal à comprendre plusieurs de leurs décisions éditoriales. Comme il apparaît que nous n’avons pas le même goût, je ne sais pas si je m’y représenterai à l’avenir.
Explique-nous les étapes de la création d’une de tes planches.
Comme les idées n’attendent jamais le bon moment pour venir me hanter, je les note dans un petit carnet moche qui est déjà plein à craquer. Je suis obliger d’écrire sur les bords des feuilles. Une fois l’idée notée, j’y reviens des dizaines de fois, j’essaie de l’améliorer et lorsqu’elle est enfin moins mauvaise, j’écris le découpage principal des cases et le texte. Je retouche également à ce découpage jusqu’à ce que j’aie trop envie de dessiner pour continuer.
Alors je commence la page avec le premier crayon HB qui passe, sur du A4, quasiment tout le temps. A ce moment là de l’avancement, je demande un avis extérieur. C’est toujours bon de prendre un peu de recul sur ce qu’on fait. Des fois c’est l’occasion de tout mettre à la poubelle. Si on dépasse cette étape, j’encre ensuite au feutre noir, et c’est là que je rajoute les détails. C’est l’étape déterminante : certains traits au crayon deviennent horribles à l’encre. Et certains ajouts à l’encre subliment l’idée que donnait le crayon. C’est un moment magique.
Ensuite je gomme en froissant toujours un peu la feuille et m’énerve avec soin sur mon manque de précaution. Je scanne la ou les pages que je colorise ensuite sous Photoshop en essayant de rajouter ce qu’il faut d’expression grâce à la couleur. Et hop, c’est prêt ! A déguster seul ou en famille.
Quels sont tes trois dessinateurs de référence ?
- Larcenet est une découverte tardive mais bouleversante qui m’a fait perdre tous mes repères en matière de BD. J’ai l’impression que tout ce que je fais manque de sang quand je ressors d’une de ses pages. Côté authenticité et puissance des contenus, il y a énormément à apprendre. Le trait n’est pas esthétique, mais pas fait pour l’être. Sa simplicité me tue.
- Kevin Hérault (HK) est le monstre dont je jalouse le trait. Lecteur de Manga depuis ma tendre enfance, ses pages à la colorisation efficace et aux multiples point de fuite m’ont renversé. Ne parlons pas des nenettes qu’il crée, elles sont à tomber raide. Malheureusement son oeuvre majeure HK éditée initialement en 1996 n’en finit pas d’être re-éditée et je n’ai connaissance d’aucune nouveauté future… Snif.
- Fred est la référence fantaisiste qui me nourrit vraiment à travers les aventures de Philémon. Le style et le trait ont un peu vieilli, mais les idées sont délicieusement insensées et portent des kilotonnes d’imagination pure. Diantre que c’est bon !
Quels sont les trois blogs de BD que tu aimes particulièrement
- Le blog de Larcenet (Épais et tordu) tiendrait le haut du classement, s’il n’était mort depuis peu, victime de ces innombrables voleurs de contenu, le mal le plus grand dont souffriront jamais les dessinateurs. On ne le dira jamais assez, n’utilisez pas les dessins des autres sans leur consentement, même si vous les aimer, cela ne pourra que leur nuire. Voilà celui là ne compte pas du coup !
- Tu mourras moins bête est un blog que j’adore car son nom est une promesse tenue. En plus d’être dirigé par une femme à barbe curieuse et excellente reporter, on y apprend plein de folles choses.
- Maumont est un des dessinateurs dont le blog m’a le plus inspiré. Son style est simple et ses idées universelles, il m’impressionne toujours.
- Enfin, Macadam Valley est mon petit coin d’enfer préféré : de l’humour absurde et surtout très noir. Que demande le peuple ?!
Un petit mot pour la fin ?
Le monde du dessin est fragile mais beau. Prenons soin de lui !
L’atelier du Pueblo : http://lepueblo.blogspot.fr/
Pour participer à la campagne Ulule pour le livre Rire & Rêver : http://fr.ulule.com/rirerever/
J’aime beaucoup le début et suis intrigué par les textes… Une belle découverte…
N’hésite pas à le suivre alors ! 😉
J’ai aussi découvert « El pueblo » (« unido jamas sera vencido » !) comme toi le jour de la matinale de Short ! Très bon boulot que le sien et blog super chouette… Ce qu’il dit à propos des votes sur Short est très vrai, les notes ne sont souvent que le reflet de l’ampleur des réseaux sociaux, et j’ai aussi été étonné des choix du jury parfois (mais je ne vais pas cracher dans la soupe ! 😉 )
Très bonne interview encore une fois, Belz, qui met en lumière un blogueur BD qui mérite de nombreux visiteurs sur son blog ! 😀
C’était une belle découverte en effet !
Merci, venant de tels artistes, ces réactions me vont au font des ventricules.
Vous découvrir est aussi une bénédiction. Na.
Short Edition : Mea culpa, je me suis trompé : en réalité, les votes ne servent plus à rien. Voilà.
Ceux qui en recueillent le plus, que ce soit grâce à leur réseau ou à l’amour des lecteurs ne sont pas ceux désignés comme Lauréats… A quoi bon donc!?
Encore une fois atterré par les choix éditoriaux du comité éditorial, découverts ce matin, mon cœur balance : rejoindre le comité comme cela nous est proposé, pour agir de l’intérieur et mettre en lumière les éclats de génie qui méritent l’amour des projecteurs, ou oublier pour de bon ce média qui me semblait pourtant prometteur. Le considérer comme ce qu’il semble être : une pompe à créations, un aspirateur à droit d’auteurs, partisan du grand credo « le travail des dessinateurs c’est Gratuit ».
Diantre que de désillusions!
A l’heure de la fermeture de 30 jours de BD, où aller trouver ce petit piquant croquant qui me fera me lever chaque matin pour aller affronter la corvée de la machine à étendre?
Si vous avez de bonnes adresses, je suis preneur, vraiment.
A très vite. Je salue votre immense travail, Belzaran, Philgreff et serait le fidèle lecteurs que vous imaginez : vos pixels empliront mes yeux de paillettes aussi souvent que vos posts naîtront.
Amen! (les frites)
Merci d’avoir répondu à mes questions !
Et merci pour ta langue qui n’est pas faite de bois ! 😉
L’équipe de 30 Jours de BD lance prochainement (« prochainement », c’est à dire que c’est encore flou pour la date) un nouveau site: « Case libre ». Que sera-t-il exactement, je ne sais pas, mais en tout cas, ce sont des auteurs (dessinateurs, scénaristes, coloristes) qui en sont à l’origine ! 😉
Je trouve que le projet est une sorte de 30 jours de BD bis. Il y a quelques modifs, mais je ne vois pas trop pourquoi cela fonctionnerait beaucoup mieux.