Ayant vu Monsieur K lancer une campagne de financement participatif pour sa BD Maria veut un enfant, je me suis dit que c’était l’occasion d’interviewer cet auteur dont je vois passer régulièrement les projets sous mon nez.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai bientôt 44 ans et je suis un jeune auteur de BD, malgré mon âge mi-figue, mi-vieux, car même si j’ai toujours un peu dessiné, je ne me suis mis à faire ça à plein temps, en autodidacte, que depuis 5 ans. Avant ça, j’ai fait toute sorte de choses… j’ai commencé par une école de cinéma jusqu’à organiser des festivals de musique en passant bien sûr par tout un tas de boulots alimentaires. Mais maintenant je me concentre sur cet art de la BD quasi exclusivement.
Pourquoi avoir choisi le pseudo « Monsieur K » ?
On me pose souvent cette question… J’aime l’anonymat du pseudo pour être libre de ses actes hors normes. Pas anonyme par rapport aux autres, mais par rapport à soi-même. Une façon de se couper de sa propre réalité sociale, de sa banalité. Au départ, je faisais des films sous le nom de Fred K., mais ça me faisait bizarre au bout d’un moment qu’on m’appelle Fred, alors que c’était pas mon prénom (ça venait d’une BD d’ailleurs où je m’étais dessiné en Christophe Lambert, alias Fred dans Subway… Et c’est resté). Du coup, c’est devenu par la suite « L’honorable Monsieur K »,puis j’ai réduit (mais j’essaye de rester un tant soit peu honorable).
Un bête malentendu entre GPA et SPA
Peux-tu nous présenter « Maria veut un enfant » ?
Maria c’est une femme un peu hors norme avec des cheveux bleus et un fort caractère. Mais c’est finalement un peu chacun de nous, avec une soudaine envie de maternité qui va l’entraîner dans une histoire peu commune : la vie. Ça commence sur un bête malentendu entre GPA et SPA, ne voulant pas s’embarrasser d’un mec, et elle se retrouve à défendre bec et ongle la différence de son fils, Jean-Pierre, qui est un jeune chiot. Puis vient l’adolescence, les conflits, les fugues… Puis après j’en dis pas plus mais je peux dire que tout ceci va l’emmener jusque dans une Syrie en guerre où elle finira peut-être par trouver l’amour et, pour Jean-Pierre, un beau-père.
D’où t’es venue cette idée incongrue ?
Je crois que le premier embryon de l’idée est venu en voyant une émission pourrie à la télé sur une femme qui élevait ses petits chiens comme des bébés… Ils dormaient même dans des berceaux ! J’avais envie de parler de la maternité/paternité, mais aussi du rapport entre l’homme et l’animal. Maria a déboulé alors sous mon crayon et a même poussé le projet sur lequel j’étais en train de travailler (La Fuite de Théodore Bertier, qui attendra son tour du coup) pour se mettre à la place. Rien ne résiste à Maria, c’est dingue !
Combien de pages sont prévues ?
Ça sera en format à l’italienne avec 2 strips par page et 88 pages en tout, plus les chapitrages. J’ai divisé l’histoire en 4 temps, 4 chapitres, plus une petite conclusion de 4 pages en post-scriptum.
Ce ne sont qu’une série de strips ou il y a un fil rouge ?
C’est effectivement une histoire qui se développe au fur et à mesure, mais que j’ai divisé en strips. Chaque strip n’est pas spécialement un gag. Je n’aime pas trop d’ailleurs ce système de gags, un peu comme des histoires drôles, et je ne suis pas doué pour ça de toute façon. Ici, chaque strip est une scène. Ça permet d’ellipse en ellipse de raconter beaucoup plus de choses. C’est comme une suite d’instantanés qui se succèdent et se répondent pour former une histoire complète. C’est très intéressant à manier comme procédé. Ça me permet de pousser assez loin l’histoire finalement.
Pourquoi avoir lancé une campagne de financement participatif ?
C’est une bonne façon de promouvoir la sortie d’une BD et d’avoir des précommandes pour financer l’impression. Ça permet d’offrir aussi des tirages spéciaux, des originaux… On se fait plaisir. C’est la 4ème fois que je lance ce genre de campagne et troisième fois sur Ulule. Je l’avais fait pour ma toute première BD auto-éditée K.World ou l’Homme qui ne recule jamais » (devenue collector aujourd’hui), puis pour le tome 3 des Chroniques Anachroniques.
Peux-tu nous présenter « Les chroniques anachroniques » ?
Tu as vu, je t’ai fait une super transition pour cette question… Les Chroniques Anachroniques c’est l’histoire de trois gusses (Phil, Frantz et Bernard) qui, grâce à une montre très spéciale, partent dans le temps pour résoudre les grands mystères de l’Histoire et qui, malgré la règle N°1 de ne jamais intervenir, provoquent malgré eux les légendes et les mythes qu’ils sont venus voir. La Bête du Gévaudan, Jésus Christ et Les légendes arthuriennes constituent les 3 premiers tomes. L’histoire est plutôt farfelue (et à tiroir), mais le fond historique est très documenté. On s’amuse avec l’Histoire.
Tu travailles sur cette série avec Myster B…
Alors, les Chroniques Anachroniques c’est un peu notre travail du dimanche avec Myster B. On s’exerce là-dessus pour peaufiner les méthodes de scénario (que l’on imagine et « storyboarde » ensemble), et pour travailler le dessin pour moi et la couleur pour lui. On a voulu pour ce projet être dans la lignée classique franco-belge avec un dessin semi-réaliste et une histoire à deux niveaux de lecture, pour les enfants et pour les adultes qui ne perçoivent pas les mêmes détails. C’est très formateur pour moi de revenir à la base, d’essayer d’être plus précis, plus réaliste, plus académique. Dessiner des décors réels, des costumes, se servir de documentations… c’est un peu mon école de BD perso et chaque tome est notre travail de fin d’année.
Aucune lassitude ne pointe au bout du quatrième tome ?
Non, aucune, bien au contraire. Il nous tarde déjà d’attaquer les prochains tomes qui sont planifiés jusqu’au 10ème ! Chaque opus correspond à une période différente, donc de nouveaux décors, un nouveau pays ou continent, une nouvelle époque historique… Puis l’envie (et l’impression effective) de nous améliorer à chaque tome, nous motive terriblement. Et jouer scénaristiquement avec le Temps est toujours un régal, complexe donc passionnant.
Ce tome 4 (Paris) ferme une boucle (temporelle notamment) et on en apprend plus sur comment ils se sont procurés cette fameuse montre dans un Paris à la veille de la seconde guerre mondiale. Parallèlement, chaque chapitre est ponctué d’une visite touristique intertemporelle de la capitale.
Le prochain tome, on vous l’annonce en exclu intergalactique (j’en fais trop ?), s’appellera Atlantide« . Mais on ne l’attaquera qu’en janvier prochain, on finit d’abord ce tome 4 pour Noël, même si on met déjà en place divers éléments des prochains tomes en amont.
Pourquoi auto-éditer tes projets ? N’as-tu jamais eu envie de tenter
l’édition ?
Eh bien jusque là, sur mes premières BD, je faisais mes armes, mes classes (je finis la 5ème année, je suis en master, là, un truc comme ça). Je travaillais mon dessin, ma narration et j’ai commencé à proposer mes projets à des éditeurs depuis cette année. Il y a L’Ogre sur une histoire de Jérémy Bouquin qui doit sortir chez Scutella Editions, même si ça a prit un peu de retard de parution, puis on verra par la suite, au hasard des rencontres.
Juste des feuilles, de l’encre et du temps… Beaucoup de temps.
Mon but premier est de me faire plaisir et l’autoédition permet de partager ce qu’on fait en toute liberté. Le but pour moi n’est pas de devenir riche et c’est bien pour ça que j’ai décidé de faire de la BD (rire). J’avais hésité à 18 ans entre une école de cinéma et une école de BD, la vie m’a ramené sur le rivage de la bande dessinée qui a le gros avantage de ne nécessiter aucun budget pour réaliser son projet… Juste des feuilles, de l’encre et du temps… Beaucoup de temps.
Comment trouves-tu le temps pour développer deux projets pareils en
même temps ?
Sans le faire exprès, je t’ai refait une transition de haut vol. Tu devrais m’interviewer plus souvent…
En réalité, j’en développe plus, mais c’est vrai que j’essaie de me limiter à deux principaux à la fois pour lesquels je consacre plus de temps. Je dois passer entre 60 et 70h au moins à travailler par semaine, ça permet de faire pas mal de choses, mais bien sûr, je suis toujours un peu en retard. C’est en tout cas plus agréable d’alterner entre plusieurs projets, ça aère. C’est Moebius, sans comparaison aucune, qui disait que pour se changer du dessin, il dessinait… autre chose.
Peux-tu nous expliquer comment tu travailles ?
Je tiens à passer le plus de temps possible dans le concret de la matière et limiter le temps passé devant un écran (déclare-je en répondant à tes questions devant mon ordi) donc je dessine sur du papier. Je fais un brouillon des planches (trop illisible pour les autres pour appeler ça un storyboard) pour créer mes histoires. J’ai généralement l’idée en tête mais c’est sous le crayon que ça prend vraiment vie et consistance. Puis, généralement en format A3 (ou plutôt sur deux A4), je crayonne. Je suis assez précis dans le crayonné, ça peut parfois être très surchargé, de manière à pouvoir encrer en me concentrant plus sur le trait que sur le dessin général. La technique varie selon les projets : à la plume directement sur le crayonné, au pinceau depuis peu (amorcé sur les premiers strips de Maria) ou au feutre plume sur une table lumineuse quand je veux aller plus vite. Puis je scanne et, sur ordi, je nettoie et corrige mes encrages, mets en page et éventuellement en couleur.
Mon temps est donc divisé en deux : toute la journée à ma table pour dessiner et le soir dans mon canap’ devant la télé avec l’ordi sur les genoux. Ordi portable, je vous rassure ! Ne m’imaginez pas englouti dans un canapé sous un gros écran, une tour, un clavier et une tablette ! D’ailleurs, je travaille au doigt sur le pavé tactile.
Sur L’Ogre et sur La Fuite de T.B.« , j’ai rajouté une technique en plus, que j’aime beaucoup : je fais les ombres à la gouache noire directement sur l’encrage (qui est fait à la plume, lui).
Quels sont tes trois dessinateurs de référence ?
Ah, la question difficile ! Il y a bien sûr plus que 3 dessinateurs qui m’ont influencé… Mais je vais me plier à l’exercice : Cabu, Hergé et Edika.
Cabu parce que c’est le premier que j’ai vu dessiner magiquement à la télé et que je suis très admiratif d’un dessin aussi libre, en quelques traits mais qui raconte tout.
Hergé parce que ce sont les premiers dessins que j’ai recopiés tout minot et c’est mes premières lectures. Je suis admiratif toujours aujourd’hui de sa précision, de sa limpidité, de la fluidité de ses mouvements.
Edika parce qu’il fait parti de ces auteurs qui ont dynamité la BD, qu’il est allé loin dans l’absurde et dans le dynamisme fou du dessin.
Il y a bien sûr plus que 3 dessinateurs qui m’ont influencé… Mais je vais me plier à l’exercice : Quino, Hugo Pratt et Fred (…ah j’avais déjà répondu ?). Tu as remarqué, je n’ai pas cité de ténors du dessin comme Moebius, Enki Bilal ou encore James Hewlett car ces gars là m’ont enchanté mais plutôt découragé de faire du dessin à une époque. Puis je me suis aperçu que ce que j’aimais c’était avant tout raconter des histoires, notamment en BD, et je ne me considère pas vraiment comme un dessinateur, plutôt comme un auteur artisan (mais je me plie à l’exercice d’améliorer mon dessin).
Tu as remarqué, j’ai pas mal triché aussi en répondant à ta question, mais si tu le permets, je voudrais citer pour finir Marc-Antoine Mathieu pour que vous alliez découvrir ses ouvrages si vous ne connaissez pas. Ce sont les BD les plus surréalistes que je connaisse. Je suis très fan.
Mis à part ces projets, qu’est-ce que tu fais d’autre dans le dessin ?
Je fais bien sûr des ateliers BD, des affiches ou autres visuels mais ce qui m’occupe pas mal aussi dans la semaine, c’est le dessin de presse. Je bosse pour un hebdo satirique local basé à Béziers La Pieuvre du Midi. J’ai un bon client avec le maire de la ville pour mes dessins… C’est un exercice très enrichissant, il faut aller vite, il faut être efficace, diversifier les techniques d’humour.
Et si tu nous parlais d’un artiste/collectif/projet auquel tu voudrais faire un peu de pub ?
Le collectif dans lequel je me sens bien et où il y a pas mal de copains dessineux, c’est Spl’Art qui édite notamment le Loboto’Zine. C’est un esprit très Fluide Glacial, on va dire, qui nous correspond bien, on est totalement libre, on rigole bien et on peut tester toutes sortes de choses. Autour ou à côté de ça, gravitent pas mal d’autres auteurs qui méritent vraiment d’être connus également, on est toute une bande en fait à avancer ensemble, on se sert les coudes, on se montre ce qu’on fait (notamment sur des sites comme BDA, que tu connais je crois, ou sur les réseaux sociaux) et on travaille parfois ensemble… C’est beau !
Un dernier mot pour la fin ?
Eh bien… Mot.
Les liens utiles :
Blog : http://elukubration.blogspot.com/
Ulule Maria : https://fr.ulule.com/maria-enfant/
Les chroniques Anachroniques : http://www.chroniques-anachroniques.fr/pages/paris01.html
Loboto : http://lobotozine.free.fr/