En publiant une planche par semaine, Pago s’est fait remarquer avec « La vie de Kevin ». Alors qu’il tentait l’aventure chez Sandawe, en financement participatif, c’était l’occasion de voir qui était derrière cette œuvre et où il voulait en venir avec Kevin.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Tout d’abord, je suis très honoré d’être interviewé sur ce blog, merci de t’intéresser à ma petite BD, Belzaran. Je suis un jeune auteur de 47 ans (personne ne rit). Dans la vraie vie, je suis ingénieur, je travaille dans le bâtiment où je monte des opérations publiques (collèges, musée…). J’habite dans la Drôme, le plus beau département du monde. Je ne viens pas d’une famille d’artiste, pas beaucoup de fans de BD dans ma famille mais pourtant j’en ai toujours fait depuis tout petit. J’ai fait ensuite de la peinture puis plus rien pendant quelques années. C’est avec internet que j’ai retrouvé le goût de la BD en découvrant le site BDAmateur puis ensuite Webcomics. Depuis, je dessine des petits miquets.
Pourquoi le pseudo « Pago » ?
Comme Hergé, ce sont les premières syllabes de mon prénom et de mon nom. Je vous laisse deviner le prénom : ma fête, c’est le 17 mars, mais je ne suis pas irlandais.
Peux-tu nous présenter « La vie de Kevin» ?
J’ai fait plusieurs BD sur les forums précédemment cités. Des BD assez politiques, peut-être trop à la relecture. Alors je me suis dis qu’il fallait que je fasse quelque chose de plus personnel, plus intimiste tout en gardant en fond une approche sociale. J’ai trouvé cette idée d’un adolescent râleur qui va découvrir un sens à sa vie via la découverte de la sensualité et de la liberté. Le nom « Kevin » m’est venu tout de suite. Je sais que ce prénom est un peu connoté « ado débile », mais tous les Kevin ne sont pas débiles (regardez Kaser Sosey !).
Une découverte de la sensualité et de la liberté.
J’ai aussi pensé à ce film de Sam Mendès que j’adore, American Beauty (avec Kevin justement !) et notamment à cette scène incroyable où le jeune ado (voisin de Kevin) filme un sac plastique qui virevolte dans le vent sur fond de garage métallique. Un moment de beauté ordinaire. Le scénario s’est peu à peu déployé. Lucie/Oze la rebelle anarchiste, sa mère, Hortense, bourgeoise établie mais sexy…
Je pense que je vais atteindre 80 planches.
« La vie de Kevin » commence tranquillement… Tu prends ton temps pour poser l’histoire, non ?
Je tenais vraiment à donner de l’épaisseur à Kevin pour qu’on voit peu à peu son évolution. Les premières planches, Kevin est un abruti qui voit tout en noir, un râleur invétéré, espèce détestable s’il en est (dont je fais partie malheureusement, j’en ai peur) même si ce qu’il dit ne me semble pas totalement dénué d’une certaine vérité.
Kevin va s’ouvrir à autre chose au contact de Oze et d’Hortense. J’espère qu’il paraîtra plus sympathique à la fin qu’au début.
Comment as-tu abordé ce projet ?
J’ai écrit une trame générale mélangeant quelques idées politiques et cette idée de beauté ordinaire issu du film de Mendès. Puis je fonctionne par séquences qui se développent autours d’une idée visuelle ou d’un bout de dialogue. C’est comme des petites touches qui ajoutent des éléments au tableau général.
Graphiquement, j’avais aussi besoin d’évoluer. Je sortais de 2 ans de boulot sur une BD écrite avec un ami historien « les lucioles, résistances en Drôme des collines » ( toujours disponible notamment sur les sites internet). J’avais travaillé à la plume et au pinceau et rapidement, vu qu’on avait des échéances courtes. On a fait pas mal de séances de dédicaces, des interviews radios et presse et on en a vendu 1200 sans diffuseur juste de la main à la main.
«Le passage a la tablette a tout changé. »
Mais j’ai fini par ne plus pouvoir voir cette BD : il y a des idées de mises en scène pas mauvaises, mais beaucoup trop d’erreurs dans le dessin. Et mon encrage à la plume est trop brouillon. Avec les droits d’auteurs (650 € ! Je confirme que la BD enrichit plus les éditeurs que les auteurs), je me suis payé une tablette Cintiq et ça a tout changé. Je peux corriger mes dessins à l’infini et le touché du stylet est bien plus fluide et agréable que la plume voire même que le crayon de papier. J’ai aussi pu travailler en nuances de gris, ce qui atténue la brutalité du noir pur et les imprécisions de trait.
Comment fais-tu pour tenir le rythme ?
Mon boulot me prend 12 heures par jour, j’essaie aussi de passer un peu de temps avec ma femme et mes enfants, mes parents, mes amis. Bref je suis assez occupé.
Mais trouver 6 heures par semaine pour faire ma planche hebdomadaire est indispensable, c’est ma récréation à moi ; j’en ai besoin. Et ce n’est pas si dur, comme le dis Kevin, les français regardent la télévision 3h34 par jour. Pas de télé pendant deux soirs et le tour est joué !
Bon, c’est vrai que je travaille vite.
Tu as commencé un financement participatif sur Sandawe…
Dessiner est déjà un grand plaisir, avoir un échange avec des gens qui me lisent comme sur BDAmateur est un autre plaisir et ça me fait évoluer. Ça pourrait largement suffire effectivement mais j’ai quand même envie d’aller au bout de l’expérience et voir ma BD en format papier avec des gens qui l’aiment suffisamment pour l’acheter.
Alors le modèle de Sandawe est pas mal. Il y a une sélection, même pour les projets libres, donc le fait que Patrick Pinchard m’ait retenu, c’est déjà très valorisant. Et maintenant, des personnes vont mettre des sous dans l’histoire, découvrir ma BD et échanger avec moi via le site de Sandawe.
Pourquoi ne pas chercher un éditeur plus « classique » ?
Mais j’ai cherché ! J’ai envoyé près de 20 lettres ou courriels, je n’ai reçu que 5 réponses ! Donc soit ce que je fais est vraiment nul soit le marché est saturé et les éditeurs n’ont plus besoin de chercher de nos nouveaux auteurs (dernières hypothèses : ce sont des mufles impolis ?!).
La première hypothèse ne me semble pas être totalement à exclure même si on constate tous qu’il y a des trucs pas géniaux qui sont publiés.
Tu te sens prêt à soutenir la promotion de ta BD ?
Soutenir la promotion, oui, mais trouver des investisseurs, pas vraiment. Je n’aime pas passer du temps sur internet. Même si je suis sur Facebook, je ne connais pas les codes des réseaux sociaux. Il va bien falloir que je m’y mette, je vais essayer d’apprendre, si vous avez des trucs…
N’as-tu pas peur que la recherche d’un financement ne te mette trop la pression ? Ou alors cela va te motiver encore plus ?
Ni l’un ni l’autre, je vais tout faire pour que ça réussisse mais si ça foire, ça ne me perturbera pas plus que ça. Moi, ce que j’aime, c’est raconter des histoires en dessin. Si la campagne est un succès et que mon bouquin sort avec Sandawe, ce sera un plus.
Question rituelle classique sur Tout à l’Ego : 20 € pour une BD en noir et blanc, n’est-ce pas un peu cher ?
La BD sera vendue 15 € (ou 14,90 € paraît qu’il y a un effet psychologique), mais il faut que je l’expédie à l’édinaute (ndlr : les contributeurs sur Sandawe) donc on n’est pas très loin des 20 €. Et non, 15 € pour une BD noir et blanc de 80 pages, ça ne me semble pas excessif. On utilise le consommateur comme prétexte pour justifier toutes les régressions, c’est la dictature du consommateur, mais les choses ont un prix. Les auteurs de BD que je connais (Galandon, Lacaf., Terpand…) ne roulent pas sur l’or, ils n’ont pas de grosses berlines allemandes, donc il faut rémunérer correctement leur travail. Je trouve aussi normal que le libraire prenne 30 % sur les ventes, ils sont essentiels pour la diffusion de la culture.
Sur Sandawe, en projet libre, c’est l’auteur qui défini son projet avec les conseils de Patrick Pinchard. Tu définis combien d’exemplaires tu vas imprimer, quelles contreparties tu prévois pour les édinautes qui vont investir sur ton projet, la durée de la campagne…
Je me suis inspiré de ce qu’avait fait les autres auteurs en échelonnant le financement de 10 à 200 €. Je ne pense pas que beaucoup de monde cotisera à 10 €. Pour 20 €, tu as la BD avec ton nom mentionné dedans, pour 50 €, la BD dédicacée + une affiche, pour 100 € en plus un T shirt à l’effigie de Kevin et à 200 € une planche crayonnée originale.
J’ai déjà soutenu deux albums Sandawe qui ont été publiés. J’ai reçu mes 2 BD pour 20 € dans lesquelles il y a mon nom en tant qu’édinaute, c’est sympa.
Tu es très à l’écoute des critiques et n’hésite pas à retoucher, voire à refaire des cases. Ce n’est pas usant par moment ?
Au contraire, j’ai besoin de ces critiques. Ça me permet de détecter mes erreurs, mais ça me conforte aussi. J’ai toujours l’impression que ce que je fais n’est pas génial ou en tout cas que je pourrais faire mieux alors, de temps en temps, lire les bonnes critiques, ça fait du bien !
Que t’apporte la communauté BDAmateur ?
Justement, cet échange. Je ne suis pas très actif à part sur mon propre topic. Comme je l’ai dit, je n’aime pas trop passer du temps sur l’ordi. J’aimerai bien rencontrer en vrai les gens qui commentent mes BD comme toi Belzaran.
Tu as l’idée d’en faire un bouquin quand tout sera terminé ?
C’est le but avec Sandawe qui en vendra sur son site. J’aurai des exemplaires papiers que j’essaierai de vendre dans les librairies du coin ou dans les festivals.
Explique-nous les étapes de la création d’une de tes planches.
Mon scénario ressemble à un pièce de théâtre. Il comporte essentiellement des dialogues. Il ne précise pas l’action case par case, ne fait pas de long descriptif. Je ne fais pas de storyboard non plus. La mise en page, c’est ce que je préfère, je me garde ce petit plaisir sur la durée.
J’attaque donc directement le crayonné sans storyboard sur un format A4. Je place mes cases, mes personnages et mes bulles au crayon léger puis je reprends avec des crayonnés plus précis. Je gomme beaucoup donc. Ensuite je scanne, puis j’encre à la tablette graphique. Ensuite je mets les calques pour les différents gris. Je poste sur BdAmateur quelques semaines plus tard et j’attends les critiques. Ce décalage de quelques semaines me permet aussi de voir mes erreurs. Ensuite, je reprends les cases qui déconnent.
Cite des auteurs BD que tu aimes particulièrement et dis nous pourquoi.
Je citerai d’abord Le Caravage qui a été mon premier choc visuel, j’adore ces clairs obscurs. Puis Moebius, Pratt, Comès, Manara, Terry Moore pour le trait. Tardy pour l’ambiance de ces histoires (en plus il est Valentinois !). Dans les contemporains, j’aime bien Jim (mon côté fleur bleu), Jeff, Ralph Meyer… Je suis assez éclectique mais in fine, il n’y a pas tant de BD que j’aime.
Cite des auteurs BD amateurs que tu aimerais nous faire découvrir.
Comme je l’ai dit plus haut, je ne passe pas beaucoup de temps sur internet et donc sur les forums et je déteste lire des BD sur un écran d’ordinateur. Mais je prends quand même un peu le temps parfois de me promener et je vois des trucs qui me plaisent comme les tiens Belzaran (et non, ce n’est pas du faillottage) ou le boulot de Willlian Lee sur sa série « A bible et a gun » ou encore Lucief. J’ai vu aussi les dessins postés par Bart récemment qui sont intéressants. Désolé à tous si je ne laisse presque jamais de commentaires, la critique, je ne sais pas trop faire.
Je pourrai aussi citer mes potes du fanzine Prism. On est un petit collectif d’une dizaine d’auteurs amateurs, Ardéchois et quelques Drômois comme moi, on fait des festivals, des animations, c’est plutôt sympa.
Un petit mot pour la fin ?
Merci.
Vous pouvez soutenir Pago sur Sandawe :
http://sandawe.com/fr/projets-auto-finances/la-vie-de-kevin
Et le suivre sur :
http://pagoland.unblog.fr/
La vie de Kevin, c’est sur Webcomics :
http://vie-kevin.webcomics.fr
« La vie de Kevin » a été finalement publiée chez YIL édition en décembre dernier. On la trouve facilement en vente sur internet notamment à la FNAC, amazon… Je serai en dédicace au festival BD d’Eurre dans la Drôme le 29 et 30 avril.
Merci pour l’info !