Sans doute pensez-vous que j’ai complètement abandonné ce projet, mais ce n’est pas le cas. Comme toujours, j’ai eu un gros coup de blues à la fin de l’ouvrage, une envie de le mettre de côté et de faire autre chose, mais sa publication (en autoédition comme toujours) est bien à l’ordre du jour.
Évidemment, j’ai rencontré des problèmes. Il me semblait avoir été bien plus « pro » cette fois-ci, et j’avais l’impression que je n’aurais qu’à copier/coller mes planches dans un fichier pour en faire un ouvrage papier. Que nenni ! Les premières planches ont été (très) mal nettoyées et m’ont obligé à me remettre à l’ouvrage. Une tâche fastidieuse et inintéressante.
Le confinement officiel touche à sa fin (puisque pour ma part, je ne reprendrai le travail qu’épisodiquement à partir de la semaine prochaine). Il est temps d’en faire un bilan complet. Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je appris ? Vais-je changer de vie ?
1ère partie : La bande-dessinée
La Prépa
Quand je me suis retrouvé en confinement, j’ai tout de suite imaginé que j’allais tirer des nouvelles planches de La Prépa à la chaîne… Ça n’a pas été le cas. En soit, j’ai continué à avancer comme avant. À ma décharge, le confinement est tombé à un moment où je n’avais pas de pages « en réserve ». D’habitude, je travaille sur plusieurs planches en parallèle. Là, j’étais arrivé au bout de mes réserves. Je n’avais qu’une planche en cours de dessin. J’ai également ralenti à cause de la complexité des planches. La page 37 a été longue (et stressante) à encrer et coloriser. C’est surtout cette page qui a ralenti la publication.
Hier, j’ai fait du tri dans mes affaires. Pochettes, carnets, cahiers… J’ai fouillé et reclassé tout ça. C’était comme creuser dans mes anciens projets. Il m’est apparu que de nombreux projets de tome 2 de mes histoires avaient poussé sans que jamais je ne passe le cap. Pourquoi ? C’est l’occasion ou jamais de vous présenter mes archives. Outre le fait que je suis un grand amateur de one-shot aujourd’hui, chaque projet de suite avorté à ses propres raisons. Je vous les détaille ici.
Pour bien comprendre tout ce que je raconte ici, je conseille aux nouveaux venus un petit passage par la case Projets !
Il y a 1 an, je publiais la première planche de ma nouvelle bande-dessinée, La Prépa. C’est l’occasion de faire un premier bilan de ce projet où j’ai expérimenté une nouvelle façon de travailler.
Bilan en chiffres
On commencera par un bilan comptable. En effet, ces projets sont, pour un amateur comme moi, très longs à mettre en place. Ainsi, après un an de travail, 19 planches sont terminées sur 64. Si on se projette, cela fera au final entre 3 à 4 ans de réalisation (sans compter l’écriture du scénario). Cela correspond à mes prévisions. Cependant, j’espérais arriver à réaliser 2 planches par mois, mais les aléas de la vie font que c’est compliqué. Entre les weekends chargés, les départs en vacances ou ma participation à l’Inktober, le rythme est difficile à tenir. Car si je dessine ce projet, j’ai aussi besoin de m’aérer et de dessiner parfois uniquement des illustrations. Pour le plaisir du dessin pur, mais aussi pour progresser !
Une fois que tout est prêt, il ne restait plus qu’à attendre notre public. S’ensuit l’attente des personnes et l’espérance des ventes…
Quel public ?
Qui viendra à notre exposition ? Le fait qu’elle se passe à Lagny-sur-Marne est le premier souci. Excentré dans le 77, le Welcome Bazar n’est pas le lieu le plus accessible de la région parisienne. Ainsi, on comprend dès les débuts de l’organisation que l’on aura droit au public local. Donc un public qui sera venu boire un verre ou manger au Welcome Bazar et qui n’est pas fan de BD ou d’illustration. Continuer la lecture de « Bilan de l’exposition 3 »
Une fois les illustrations terminées, le boulot est loin d’être fini ! Il faut préparer l’exposition pour en profiter au mieux.
LES GOODIES
Une exposition, comme son nom l’indique, c’est s’exposer. L’idée n’est pas que de vendre, mais aussi de se montrer et pouvoir atteindre un nouveau public. Il faut donc, au-delà des tableaux, proposer autre chose à acheter ou à récupérer pour qu’après l’événement, des lecteurs aient été gagnés. Continuer la lecture de « Bilan de l’exposition 2 »
Il m’aura fallu quelques jours pour récupérer et digérer (aux sens propre et figuré) l’exposition MÉT4MORPHOSES. Il est l’heure de tirer le premier bilan de ce qui restera ma première exposition.
Se penser illustrateur
Pourquoi une exposition ? C’est suite à l’exposition Azhar de Stoon au Welcome Bazar que ce dernier me propose d’exposer à mon tour là-bas. Cependant, plusieurs facteurs m’effraient :
Le manque de qualité de mes illustrations
Le petit format de mes illustrations
La quantité d’illustrations à fournir (plus de quarante) pour garnir la galerie
L’investissement financier dans l’achat des cadres (plus de quarante)
Après l’analyse du scénario, il me fallait passer au crible le dessin de Jotunheimen. De sacrés défis m’attendaient, ont-ils été relevés ?
Les ambitions
Lorsque j’ai écrit le scénario de Jotunheimen, je ne me suis pas mis de frein. Je voulais qu’il me pousse à dessiner des scènes qui me semblaient hors de portée de mon crayon. Chaque projet se doit de me faire progresser en dessin par de nouvelles ambitions.
Les difficultés envisagées pour Jotunheimen étaient les suivantes :
Ma dernière planche a eu droit à un traitement particulier de recomposition des cases. Petite étude de cas avec la page 55 sur comment équilibrer sa planche.
La planche 55 montre Laura au sol, blessée, et Alexis s’occupant d’elle. Elle manque forcément de mouvement et il fallait varier les plans pour animer l’ensemble. Voilà à quoi ressemblait la première version :
L‘intérêt de travailler sur une bande-dessinée à la mise en page « classique » est de pouvoir la modeler. La mise en scène se révèle alors plus ambitieuse et permet des expérimentations plus intéressantes que le simple alignement de cases ou le gaufrier.
Retour sur la dernière planche publiée de Jotunheimen (la seizième donc). Cette page est destinée à montrer le personnage effectuer une correspondance en car au milieu de nulle part. Voilà le magnifique scénario correspondant tel qu’il est griffonné dans mon classeur. Si vous voulez éviter les spoils, ne lisez pas tout en bas (même si ça ne raconte pas grand chose).
Le cheminement est donc le suivant :
Alexis est dans le car n°1
Alexis descend du car n°1
Alexis attend le car n°2
Alexis monte dans le car n°2
Alexis est dans le car n°2
On remarque à la simple lecture du cheminement qu’il y a une symétrie centrale dans cette page. Le point 3 est le point de symétrie de la scène. J’ai ainsi eu l’idée de créer un point de symétrie également dans la planche. Et cela, dès le début. Car votre esprit aiguisé a tout de suite remarqué, dans le scénario, le détail suivant :
Même si cela ne change pas grand chose dans la lecture, il me semble que ce genre d’effet crée, inconsciemment, un renforcement de la narration.
De la bande-dessinée en palindrome.
C’est en lisant l’ouvrage « Lire la bande dessinée » de Benoît Peeters que je découvre cette construction, dite en palindrome, des planches ou des albums. Pour rappel :
Palindrome : figure de style désignant un texte ou un mot dont l’ordre des lettres reste le même qu’on le lise de gauche à droite ou de droite à gauche.
Deux récits sont alors cités, qui vont me marquer. Le premier, assez incroyable, est « The Upside-Downs of Little Lady Lovekins and Old Man Muffaro » de Gustave Verbeek (même le titre de l’oeuvre semble être à double-sens…). L’auteur propose 64 planches de 6 cases qui peuvent être lues à l’endroit ou… à l’envers ! La prouesse de narration et graphique est incroyable !
Dans la même lignée, les frères Luc et François Schuiten proposent, pour le troisième tome de leur série « Terres creuses » un ouvrage ou il existe un basculement en milieu d’album. Les planches deviennent alors symétriques aux précédentes. Après 36 planches, on passe à la planche 36′, puis 35′, etc. Le titre, « Nogegon » est d’ailleurs un palindrome.
Plus modestement, je me suis appliqué à l’appliquer sur une planche où cela me paraissait pertinent. Alexis devient donc le point central et de symétrie de la planche. C’est ainsi que j’aboutis à un storyboard qui reprend cette idée.
Je vous laisse apprécier les différences avec la planche finale, souvent mineures mais essentielles :
Case 2 : la vue de loin permet de montrer qu’on est dans un coin perdu
Case 3 : la vue de face crée un face-à-face entre Alexis et les autres passages. Cela renforcement son isolement, mais aussi sa différente façon de voyager.
Case 5 : simple changement de côté pour éviter la redondance avec la case 6 (particulièrement visible sur le storyboard !).
Le résultat est le suivant, avec le point de symétrie central :
Le comparatif case à case rend la symétrie encore plus évidente. Le premier parallèle montre Alexis assis dans le car. Ce sont les « avant » et « après ».
Le deuxième parallèle montre le dialogue Alexis-chauffeur. Alexis est dans le questionnement, une pointe de stress. Le chauffeur est, lui, évidemment, dans la décontraction, créant un décalage et renforçant l’image d’un personnage un peu angoissé sur les bords.
Le troisième parallèle montre des cases sans dialogues, où le contraste entre le car et Alexis est mis en avant. Le héros apparaît en grisé, se situant dans un plan clairement différent que le car. Cela renforce l’isolement, Alexis ne se sentant plus en sécurité une fois hors du car, le véhicule étant vu comme un forme de cocon protecteur.
La case centrale, qui sert de point de symétrie, sort du cadre pour imposer sa présence. Elle sert également d’axe de symétrie : la partie haute et basse se répondent de façon évidente (le haut pour le premier car, le bas pour le deuxième).
L’usage d’une case longue et peu haute permet d’intensifier l’impression d’isolement du personnage.
Cette planche a été conçue d’une manière particulière. Plus originale que la plupart des planches, il est bon d’intégrer ce genre de réflexion à la création, afin de pousser un peu plus loin son projet. Pour cela, rien de mieux que de lire et relire de grandes bande-dessinées et des ouvrages d’analyse de ces mêmes ouvrages. Ça stimule l’imagination et pousse à être plus ambitieux pour ses projets, fussent-ils confidentiels.
Quelques sources sur les projets cités :
Lire la bande-dessinée de Benoît Peeters
Un livre passionnant à lire absolument ! Cela regroupe les analyses des planches et ouvrages les plus novateurs de la bande-dessinée. Très stimulant pour les auteurs.
Régulièrement, quelqu’un me fait une remarque sur mon titre (imprononçable soi-disant) de « Jotunheimen . Avec le festival de BD de Puteaux (qui se tient actuellement), c’était l’occasion de discuter avec des copains bédéastes du choix des titres d’ouvrages. Comment bien choisir son titre ? Doit-on ajouter un sous-titre ? Comment faire en sorte que le titre soit percutant et pertinent sans trop révéler le contenu du livre ?
Le plus simple, avant de parler de « Jotunheimen » est de reprendre tous les titres que j’ai pu trouver par le passé et d’essayer d’y déceler une évolution et voir si j’ai été plus pertinent dans le passé… J’ai toujours trouvé mes titres immédiatement après la conception des prémisses de l’univers et/ou de l’histoire. Et j’ai suivi mes intuitions à chaque fois, sans changer un seul mot. Au risque de m’être trompé ?
Steven & Norbert
Série de strips faisant intervenir les personnages du même nom, le titre est donc pertinent. C’est l’histoire d’un petit-fils qui rend visite à son grand-père. Le titre montre donc bien l’opposition des générations par un prénom « jeune » et américain et un prénom quelque peu passé de mode.
BlongO
Série de strips faisant intervenir un hippopotame. C’est le nom du personnage. Je ne suis pas allé chercher bien loin !
tout à l’ego
Bande-dessinée autobiographique, le titre le montre bien avec le terme « ego ». En plus, ça fait un jeu de mot. Du coup, c’est devenu le nom du blog.
Le septième ciel
Plus obscur ici… Le septième ciel est le nom du bar où se retrouve les divinités, messies et autres personnalités religieuses. Le tout est blasphématoire avant tout. Du coup, le titre est pertinent puisque l’allusion sexuelle est assez évidente.
le huitième péché capital
Décidément, j’aime les nombre… Ici, on rentre dans le vif du sujet car l’histoire raconte l’instauration d’un huitième péché capital. Le titre laisse en plus la surprise sur la nature de ce nouveau péché.
L’éveil des sens
Un petit garçon découvre les relations garçons/filles et les premiers émois. J’aime beaucoup ce titre qui décrit plutôt bien l’ouvrage.
Le modèle vivant
Ici aussi j’aime beaucoup le titre, même si son interprétation est souvent faussée. Je joue de l’ambiguïté du mot « modèle ». Dans le livre, le « modèle » est le personnage principal qui s’inspire de sa vie pour écrire une bande-dessinée. Mais intervient également un femme au cours de modèle vivant… Bref, la plupart des lecteurs pensent que le sujet est la modèle avant tout. La couverture par contre est explicite sur le sujet du livre.
La chasseuse d’hommes
Encore un titre avec un double sens. Le seul défaut : il dévoile une partie de l’intrigue.
Histoire de teaser un peu, en ce moment j’ai bien envie de me remettre au projet. Mais bon, c’est pour dans deux ans.
Salle des profs
Un titre hélas déjà pris par le défunt Charb, mais il est parfaitement explicite. Ici on parle des profs entre eux et pas en classe !
Ce titre pose donc des problèmes à mes lecteurs qui s’en plaignent pour deux raisons:
Ils ne savent pas le prononcer
Ils n’arrivent pas à le retenir
Passons donc d’avoir à la prononciation ! L’erreur la plus classique est de prononcer le « jo » en « ro », façon espagnole. Mais le Norvégien est une langue dérivée de l’Allemand et le « jo » doit donc se prononce « yo » (comme pour le mot allemand « Ja »).
Considérez que vous avez de la chance que le titre ne contienne pas les termes spécifiques de cette langue : Ø, Æ, Å… J’étais un peu déçu d’ailleurs. Ça aurait été encore plus drôle à écrire !
Concernant le titre en soit, le parc du Jotunheimen est au centre de l’intrigue, puisque c’est là que s’effectue la randonnée du personnage. Et, en soit, le parc est un personnage à part entière vu son influence sur le héros (là je tease un peu). Conscient qu’un titre que l’on ne retient pas est mauvais pour le bouche à oreille, j’ai quand même cherché autre chose comme titre, sans trouver réellement quoi que ce soit de pertinent. Franchement, « Jotunheimen » signifie en norvégien « pays des géants ». C’est un peu pourri comme titre et ça fait histoire fantastique pour les enfants.
J’ai donc regardé un peu les titres de ma bibliothèque qui parlait de voyage pour voir ce que ça donnait. Outre le très beau « Route 78 » qui mixe le nom d’une route bien connue avec l’année du voyage, on retrouve des trucs assez bateau. Et après tout, Guy Delisle a bien nommé l’un de ses livres « Pyongyang » ou « Shenzen ». Détail amusant : en changeant d’éditeur, c’est devenu « Chroniques birmanes » et « Chroniques de Jérusalem ».
Rien n’est définitif tant que livre ne sera pas imprimé. « Jotunheimen » pourrait changer de nom, mais je n’en vois pas l’intérêt actuellement. Les ventes de mes livres restent cantonnées en très grande partie à des connaissances et à des lecteurs très réguliers du blog. Alors le titre du livre ne me paraît pas avoir une importance capitale !
Lorsque que l’on nomme son blog Tout à l’Ego, c’est que l’autobiographie est au centre de nos préoccupations. Outre un narcissisme exacerbé, je voue une véritable passion pour les autobiographies et plus encore pour les autofictions, que ce soit en bande-dessinée ou en littérature. Mais quel est l’impact réel sur l’auteur lorsqu’il écrit sur lui-même ou pire, sur ses proches ?
Tout à l’Ego fut ma première autobiographie. Basée sur l’anecdote du quotidien (comme la plupart des blogs de l’époque), mais également sur l’analyse de certains aspects de la vie, le but est avant tout humoristique. Déjà je m’amuse de l’impact que peut avoir la publication d’une planche, me permettant d’établir une vérité. Ainsi, l’allusion à mon anatomie démesurée deviendra un running-gag. Il y sera fait mention à plusieurs reprises et ce dans plusieurs projets différents !
Mais l’humour a ses limites. Lorsque j’ai tenté de faire de Tout à l’Ego quelque chose de plus riche, avec notamment un peu d’émotion, ce fut un flop complet. Perturbés par la tristesse de certains propos, les lecteurs enchaînèrent les remarques grivoises… J’arrêtais alors cette série qui n’était plus du tout adaptée à ce que je voulais faire. D’ailleurs, en montrant ma face plus sombre, je commençais à me soucier de l’impact que cela pouvait avoir sur mes proches qui lisaient mes planches.
Le Modèle Vivant est la première oeuvre que j’ai pu écrire par nécessité. La première raison est purement artistique. Suite à la lecture de plusieurs ouvrages sur la bande-dessinée indépendante et à la découverte de L’Ascension du Haut-Mal de David B., je me remets en question. Est-ce que faire des petites planches blog BD sont vraiment ce que je veux faire en bande-dessinée ? N’ai-je pas plus d’ambition ? Très limité dans mon dessin, j’hésite à me lancer dans un projet lourd et difficile cependant. Mais perturbé dans un trop-plein d’auto-analyse, je ressens également le besoin de coucher le tout sur papier. Ainsi, lors de nuits blanches (classiques lors des moments d’émergence de nouveaux projets), je finis par me lever et écrire ce qui me trotte dans la tête. Trois jours plus tard, la première page est dessinée.
Le Modèle Vivant est une projection de mon existence à plusieurs mois. Ainsi, le rapport entre mon existence fantasmée et la réalité fut une expérience enthousiasmante. Les problèmes de dédoublement entre le personnage et l’auteur donnèrent lieu à des situations assez cocasses. Mais aborder des sujets sérieux n’est pas évident lorsque l’on parle de soi. Ainsi se savoir lu par sa famille et ses amis pousse à s’auto-censurer. Même si je n’ai pas eu l’impression de limiter mon propos, j’avais bien conscience à la publication de certaines pages que cela pouvait heurter certaines personnes. Je n’ose même pas penser à ce que ça aurait été si j’avais eu des enfants ! A l’époque, vivre seul m’a permis d’éviter d’impliquer qui que ce soit d’autre.
Un impact inévitable sur l’entourage.
Malgré tout, l’impact existe quoiqu’il arrive. Quand le modèle dont est inspirée le personnage d’Émelyne se retrouve avec le livre en main et se voit dessinée, ce n’est pas facile à assumer (ndlr : dans la version papier, un croquis de modèle vivant réellement réalisé à l’atelier est montré). De même, le personnage de Cédric fut revendiqué par trois personnes ! Enfin, la badminton, baptisé dans la BD « paradis des fesses bien fermes » a eu son petit effet sur mes amis du club…
Le Modèle Vivant a clairement servi de thérapie (le mot est trop fort bien évidemment). C’est avant tout une oeuvre d’analyse qui m’a permis de prendre beaucoup de recul. J’ai surtout pleinement apprécié de jouer avec la réalité. D’où l’écriture de Salle des Profs dans la foulée, qui malgré son aspect autobiographique (puisque tout est vrai) est évidemment romancé. Et signe que tout allait mieux : ce nouveau projet était basé sur l’humour et était… en couleur !
Ce plaisir de l’auto-fiction continuera avec What About Sex ? publié lors des 23 heures de la BD. L’histoire, créée de toute pièce, fait quand bien même intervenir le personnage du lapin, mettant évidemment une ambiguïté sur tout ce qui peut y être raconté.
Salle des Profs est également né d’une nécessité, bien que tout autre que pour Le Modèle Vivant. Cela faisait longtemps que je voulais parler de mon métier, mais je ne trouvais pas de point d’accroche en salle de classe. Je me suis aperçu que j’avais bien du mal à utiliser les anecdotes du quotidien de collège pour écrire (bien que je le fasse sans mal à l’oral). Il y manquait une analyse, un fil rouge pour que cela me motive. Clairement, je ne voulais pas tomber dans un Tout à l’Ego au collège. C’est finalement mon retour en établissement qui m’a donné envie d’écrire sur mes collègues plus que sur mes élèves. Je partais sur un principe de chapitres (hérité de L’Éveil des Sens) qui me permettait de construire une analyse et pas seulement des anecdotes.
Au départ, je considère Salle des Profs avec un peu de dédain. Après toutes les exigences que j’avais mises dans Le Modèle Vivant, je trouve ce nouveau projet peu ambitieux. Je le démarre d’ailleurs sans trop savoir où je vais. Mais force est de constater qu’il correspond à mon plus grand succès sur la toile. A l’époque, je culmine à 500 visiteurs lors d’une publication, les commentaires sont nombreux, je dessine pour Vie de Merde et je vends plus de livres que précédemment, le prix étant pourtant plutôt élevé. J’aurais même droit à un coup de cœur chez The Book Edition ! De plus, de nombreux lecteurs insisteront beaucoup sur la qualité du projet et sur son potentiel éditorial. Le décalage entre mon ressenti et celui de mes lecteurs n’avait jamais été aussi grand !
Cependant, Salle des Profs est aussi le début des angoisses. Autobiographique, j’ai peur que le tout soit découvert par les profs et/ou les élèves. En cela, assumer au près des proches était finalement beaucoup plus simple… Malgré tout, j’ai fini par être convaincu par le potentiel du projet et travaille sur un version plus aboutie afin de la proposer à l’édition.
Assumer l’enfance, un défi plus facile à relever ?
Dernier cas d’autobiographie, L’Éveil des Sens est selon moi, depuis toujours, mon projet le plus fort. Démarré très tôt, il a pu mûrir et est un savant mélange d’émotion, de tendresse et d’humour. Construit sur une trame chronologique découpée en chapitres, il est facile à assumer dans le sens où tout ce qui arrive se passe pendant mon enfance. Ainsi, il est facile de se cacher derrière un « j’étais un enfant à l’époque ».
Déjà, alors que je prépare le tome 2 sur l’adolescence, je vois pointer tous les problèmes liés à l’arrivée de la sexualité (notamment l’onanisme, puisque l’on parle du collège). Cependant, la réussite d’une autobiographie réside parfois dans cette capacité à raconter la réalité (ou du moins celle retenue dans nos souvenirs) et de ne pas trop la travestir. N’est-il pas formidable d’entendre un lecteur me dire qu’une scène n’est pas possible alors que je l’ai vécue ?
Écrire une autobiographie, c’est s’analyser. Écrire une autofiction, c’est jouer avec la réalité. Deux façons de faire, deux plaisirs différents. Mais derrière toutes ces choses à assumer, reste la possibilité de la fiction. Et déjà, les problèmes surgissent aussi… Ainsi, un camarade d’atelier BD m’a dit : « tu peux m’aider à dessiner des coiffures de femmes, toi tu ne dessines que des nanas ! » Comme quoi, il faut accepter d’être jugé pour nos œuvres, qu’elles soient autobiographiques ou non…
Depuis des semaines, les réseaux sociaux, blogs et sites web saturent d’articles et commentaires liés à la situation précaire des auteurs de bande-dessinée. Cela avait commencé notamment par le documentaire Sous les bulles, l’autre visage de la bande-dessinée (par Maiana Bidegain). Ce reportage, particulièrement déprimant, avait le mérite de pointer du doigt les difficultés du milieu, tout en interviewant toute la chaîne, de l’auteur au libraire. Depuis, les auteurs voient pointer une réforme des retraites les appauvrissant d’autant plus. Mais quel est le rôle du lecteur dans tout ça ?
D’abord, il me paraît nécessaire de présenter mon point de vue en tant qu’auteur amateur de bande-dessinée. Ayant dernièrement envoyé mon premier dossier pour un projet à un éditeur, j’ai une idée sur la question. Bien qu’ayant toujours développé des loisirs créatifs (écriture, création de jeux vidéo, musique, puis BD), je n’ai jamais réellement souhaité en faire un métier. La trop grande précarité de ces milieux a toujours douché mon enthousiasme. D’autres contraintes m’ont souvent gêné, que ce soit la vie loin de chez soi pour la musique ou la solitude du dessinateur de BD devant sa planche. Bref, j’ai toujours voulu avoir un emploi salarié qui me laissait l’esprit libre à la création, sans stress ni pression. Même si parfois le fait d’avoir un blog m’a poussé à baisser la qualité de mes créations (je l’admets pleinement), j’ai actuellement le plaisir de ne dessiner que lorsque j’en ai vraiment envie. En cela, Fabrice Erre est un exemple : il publie des bande-dessinées tout en étant enseignant. Un nouveau modèle pour moi ?
Ce qui m’intéresse ici c’est avant tout de parler du rôle du lecteur, puisque je suis avant tout un grand lecteur de bande-dessinée. Il y a trois ans, j’avais évoqué dans un article de ma newsletter la nécessité d’être militant dans ses achats, 3ême si un lecteur n’achète jamais autant de bande-dessinées qu’il le voudrait réellement (ou alors il est très riche !). Cette analyse mérite d’être un peu étayée. En effet, à l’époque je parlais beaucoup des auteurs de blogs BD. Ces derniers tentaient de percer par leur activité sur internet et certains se voyaient édités, souvent par de petits et jeunes éditeurs (dont certains ont mis la clé sous la porte depuis). A l’époque, j’achètais alors beaucoup de ces premiers livres pour soutenir à la fois les maisons et les auteurs. Hélas, à force, je suis devenu particulièrement méfiant à l’encontre de ces ouvrages. En effet, après des premières bonnes surprises, j’ai trouvé que le niveau d’ensemble baissait sacrément. Des auteurs excellents en blog produisait des livres bien moins percutants (la difficulté de tenir sur des dizaines de pages ?), le tout dans des ouvrages pas toujours de grande qualité. Et je passe sur les (très) nombreux recueils fourre-tout. J’étais alors face à des auteurs qui, pour publier, se servaient de ce qu’ils avaient déjà en main plutôt que de proposer un véritable projet construit autour d’une idée. Dommage. Du coup, je me suis détourné de certaines maisons d’édition et, par là-même, de certains auteurs.
Parallèlement, mon amour pour les séries s’est tellement étiolé que je n’en achète presque plus. C’est tout juste si j’accepte d’acheter le premier tome d’un triptyque. Trop de désillusions, de séries sans fin qui se diluent… Sans même parler de celles qui changent de dessinateur en route ! Je privilégie désormais le one-shot, quitte à ce qu’il fasse 100 pages. De même, j’ai arrêté de faire pleinement confiance aux auteurs. Avant, j’achetais des livres les yeux fermés s’ils étaient scénarisés/dessinés par certaines personnes. Devant les déceptions, j’ai fini par être beaucoup plus prudent. Ainsi, l’un des auteurs que j’admire le plus, Blutch, a l’immense mérite de faire des ouvrages très différents. Ainsi, lorsqu’il propose Pour une finir avec le cinéma, j’ai passé mon tour. Ce livre axé sur des scènes de films cultes pour cet auteur. N’y étant pas réceptif, j’ai préféré attendre plutôt que d’être déçu. J’ai pu ainsi acheter son dernier ouvrage Lune l’envers, dont j’ai pleinement apprécié la lecture.
Le besoin de posséder en question
Le fait que je lise beaucoup en bibliothèque m’a permis de prendre du recul sur la notion absolue de possession. Ainsi, je ne souhaite plus avoir une grande bibliothèque majestueuse, mais quelque chose de cohérent. Ainsi, plusieurs critères entrent désormais en jeu pour qu’une bande-dessinée mérite son entrée dans ma bibliothèque :
– être magnifique graphiquement (au point que cela me serve de référence pour mon propre dessin)
– avoir un vrai potentiel de relecture (ce qui sous-entend une vraie qualité de scénario).
Cette analyse est vraie également pour la littérature et la musique (puisque j’achète encore des albums). Je suis donc passé outre deux tabous : l’occasion et la revente. Ainsi, j’ai revendu pas mal d’ouvrages (notamment des séries) qui ne me plaisaient plus du tout. Et parallèlement, j’achète en occasion les séries (anciennes) qui me plaisent. Car découvrir une série et devoir acheter 8 à 10 tomes, c’est compliqué. Ainsi, découvrant Le vent dans les saules (et sa suite, Le vent dans les sables) de Michel Plessix, j’avais neuf tomes à acheter. A une bonne dizaine d’euros le livre, j’ai préféré me rabattre sur l’occasion. Problème : l’auteur ne touche rien. C’est la même chose pour les Donjon (Sfar & Trondheim + plein de guests) où le nombre de tomes est mirobolant et que je complète petit à petit, sur plusieurs années.
Lire en bibliothèque : éviter les désillusions ?
Parallèlement, mes lectures en bibliothèque ont fortement baissé mon volume d’achat. Cela m’a permis d’éviter certains BDs qui m’attiraient sur le papier mais qui se sont révélés décevantes. A l’inverse, ayant découvert Cité 14 (Gabus & Reutimann) en bibliothèque, j’ai acheté les deux saisons complètes, ainsi que le spin-off. Même si, en soit, j’aurais préféré la version livret qui a disparu, car pas assez rentable…
La bibliothèque a chez moi favorisé les ouvrages forts, parfois un peu plus abruptes à la lecture, au détriment des ouvrages grand public. En cela, c’est plutôt une bonne chose. D’ailleurs, lorsque j’ai pu voir les chiffres des meilleures ventes de bande-dessinées de l’année dernière, je me suis aperçu que je participais peu aux blockbusters (mis à part le dernier Blacksad par Diaz Canales & Guarnido).
Un autre exemple intéressant est Bone de Jeff Smith. J’ai pris cette bande-dessinée en bibliothèque car je savais qu’un jeu vidéo avait été fait sur cet univers. Voilà le point de départ ! J’ai dévoré l’ensemble et c’est, selon moi, l’une des meilleures séries que j’ai pu lire. J’ai donc logiquement voulu l’acheter. Actuellement, son édition n’existe qu’en couleur… Or j’avais découvert Bone en noir et blanc et avait été transcendé par le trait au pinceau magnifique de Jeff Smith. Ce comics a été fait avant tout en noir et blanc et l’ajout de la couleur n’est qu’une manœuvre commerciale destinée à toucher un plus grand public. J’ai donc entrepris d’acheter cette série d’occasion afin de pouvoir profiter du noir et blanc. Après deux ans de recherche, j’ai trouvé dix des onze tomes… Je touche au but !
Au final, les intérêts des lecteurs et des auteurs divergent forcément. Car à la précarité réelle des auteurs s’oppose le pouvoir d’achat des lecteurs. Ma propre capacité d’achat m’a obligé à trouver des moyens de continuer à lire beaucoup sans m’appauvrir. Cela m’a poussé vers l’occasion et les bibliothèques. L’effet principal a été mon ouverture d’esprit, puisque j’ai pu découvrir de formidables ouvrages et auteurs que je n’aurais pu découvrir en librairie. En librairie, les livres tournent très vite, pas en bibliothèque…