Tu l’appelais ta bibliothèque. Un simple cube blanc, cinq planches de contreplaqué laminé, mais tu tenais à ce mot. Tu avais eu tant de mal à arriver à le prononcer correctement. Bi-bli-o-thè-que. Tu y avais rangé tes livres, tous ceux que nous t’avions lus depuis ta naissance. Les carrés en cartons qu’il fallait toucher. Les plus épais en caoutchouc qui faisaient de la musique et des bruits. Ceux qui ont été mâchouillés et cornés, tes préférés. Avec les années, les livres avaient grandi avec toi. Plus de pages, plus de textes, plus de centimètre carré. Ils troquaient les couleurs vives pour des couleurs pastel. Alors, tu avais tes préférences. Tes obsessions. Nous passions six mois à te répéter la même histoire, soir après soir, mot pour mot. Si nous changions une seule phrase, tu nous faisais les gros yeux et il fallait tout recommencer à zéro. Je voyais tes lèvres remuer pendant les histoires ; tu les connaissais par cœur. Tu aurais pu les réciter, mais il fallait que ce soit nous. C’était le rituel. Au fur et à mesure, nous introduisions des bruitages et autres interventions. En un rien de temps, cela devenait des traditions, immuables. Pour chaque histoire, ton père et moi avions chacun notre façon de la raconter, sans avoir droit à un pas de côté.
D’une main, tu suçais ton pouce. De l’autre, tu tenais Pinpin. Ton doudou allait toujours se cacher quand apparaissait le loup. Plus personne ne lui raconte d’histoire aujourd’hui. Peut-être va-t-il farfouiller dans ta bibliothèque parfois ?
Un jour, nous t’avions emmenée à un salon du livre pour que tu rencontres l’autrice de ton livre préféré. Il y avait trop de monde, trop de bruit. Tout était trop grand. Effrayée, tu t’étais agrippée à ma jambe pendant tout le temps de la file d’attente, ton doudou contre ta poitrine comme ultime protection. Quand enfin nous avions été devant la dessinatrice, j’avais su que tu ne comprenais pas qui elle était. Tu étais trop jeune. La femme t’avait dessiné avec Pinpin, une illustration magnifique à l’aquarelle, si simple, mais si vraie, plus parlante qu’une photographie. Je sais que ce dessin est tapi là, derrière la couverture du livre, dans ta bibliothèque. Je ne pourrais jamais m’en séparer, mais pourrais-je seulement un jour trouver la force de lire sa dédicace sans m’effondrer ?
« Pour Noa et Pinpin. »
Mais de vous deux, seul Pinpin est encore là pour la voir.
Alexis a essayé de me parler de l’avenir de tes livres. Il a proposé de les vendre, de les donner, de les mettre dans la bibliothèque du salon, de les descendre à la cave… Et pourquoi pas les brûler tant qu’on y est ? Ce meuble est une partie de toi, de ta personnalité. Si souvent tu enlevais tous les ouvrages, les étalant partout dans ta chambre pour les classer. Tu tenais cela de ton père. Tu changeais constamment l’ordre : par taille, par couleur, par thématique – d’un côté les humains, de l’autres les animaux. Chaque nouveau classement était un instantané de toi. Comment y toucher désormais ? Ce serait détruire un autre pan de toi. Alexis dit que je bâtis un mausolée. Il ne comprend rien. Tant que ta chambre ne bouge pas, que tout reste à sa place, je peux imaginer que, peut-être, tu n’es pas vraiment partie. Que, peut-être, un jour, tu reviendras dans ma vie.
J’ai repris mon atelier d’écriture. Vous aurez de nouveau droit à mes textes sur le blog. J’ai prévu un article pour expliquer le pourquoi du comment. En attendant, je vous en souhaite bonne lecture !
Pour rappel, les textes d’atelier sont écrits en une durée de 45 à 60 minutes et je ne les modifie pas avant de les publier ici. Ils sont ensuite corrigés et modifiés, voire enrichis lors des publications en livre plus tard.
Suite à un tableau de l’exposition Boldini au Petit Palais, j’avais envie de peindre des personnages en interaction. Je fais beaucoup de portrait où une seule fille apparaît, j’avais envie de développer d’autres façons de faire qui, peut-être, raconterait un peu plus une histoire.
Refaire une case, c’est toujours difficile. Surtout qu’on a l’impression d’ouvrir la boîte de Pandore : rapidement, on s’aperçoit que tout serait à refaire ! Il faut alors savoir être pragmatique et ne refaire que ce qui nous paraît impossible à garder. Tout en sachant que ces choix sont bien entendu discutables…
En cette période de congés scolaires, j’en profite pour retoucher certaines planches. Ici, c’est le deuxième case de l’album qui est remise en cause ! Cette case m’avait posé énormément de problème au dessin, puisque je n’avais pas réalisé ce que j’imaginais au départ en storyboard. Devant la complexité, j’avais simplifié la case. Pire encore, la colorisation avait été une véritable torture. Bref, il fallait reprendre tout ça. Voilà, en gros, ce qui n’allait pas :
Surtout, l’ensemble est terriblement plat. J’ai donc repris mon idée d’origine, qui est moins centré sur les personnages (ici, sans véritable intérêt), mais sur le lieu. L’inspiration est le Décathlon rive gauche (13ème arrondissement). Impossible d’avoir une image correcte sur Google Maps, j’ai fini par trouver quelque chose dans l’idée :
Impossible de trouver le copyright pour cette photo. Google Maps/Streets semble-t-il.
C’est donc une jolie perspective à deux points de fuite. Pour éviter la redondance avec la première case, le point de cassure sera plus à gauche. En voilà le dessin actuellement :
Le problème posé ici est le vide côté droit. On y trouvera cependant l’entrée du magasin (qui cassera la perspective), le gorille/vigile. Surtout, cela me permet d’ajouter Alexis qui marche dans la rue et apparaît donc logiquement dans l’album à ce moment-là. C’était l’un de manques de la première version. Pour habiller le tout, j’ai aussi ajouter un pigeon qui vole (car le côté haut/droit de la case est très vide) et le même scooter en avant plan. Mais après réflexion, il semble que le scooter, vue la perspective, soit en train de voler…
J’ai aussi pu profiter de la planche pour travailler la perspective en damier, qui permet de faire en sorte que les fenêtres aient l’air plus petites plus elles sont loin. Avant je le faisais au feeling et mon feeling était assez mauvais. La technique utilisée est très simple à mettre en place et va vite (aussi vite qu’en le faisant au juger).
On voit bien les diagonales tracées sur le crayonné. Pour ceux que ça intéresse, j’ai utilisé le tutoriel très simple d’eMangaka.
Maintenant que tout est posé, reste à fignoler tous les détails : les personnages bien entendu, mais aussi l’intérieur (ou pas ?) des vitrines. Car la perspective donne vite un aspect froid et trop rectiligne qu’il faut savoir casser en ajouter des détails opportuns aux bons endroits.
Depuis des semaines, les réseaux sociaux, blogs et sites web saturent d’articles et commentaires liés à la situation précaire des auteurs de bande-dessinée. Cela avait commencé notamment par le documentaire Sous les bulles, l’autre visage de la bande-dessinée (par Maiana Bidegain). Ce reportage, particulièrement déprimant, avait le mérite de pointer du doigt les difficultés du milieu, tout en interviewant toute la chaîne, de l’auteur au libraire. Depuis, les auteurs voient pointer une réforme des retraites les appauvrissant d’autant plus. Mais quel est le rôle du lecteur dans tout ça ?
D’abord, il me paraît nécessaire de présenter mon point de vue en tant qu’auteur amateur de bande-dessinée. Ayant dernièrement envoyé mon premier dossier pour un projet à un éditeur, j’ai une idée sur la question. Bien qu’ayant toujours développé des loisirs créatifs (écriture, création de jeux vidéo, musique, puis BD), je n’ai jamais réellement souhaité en faire un métier. La trop grande précarité de ces milieux a toujours douché mon enthousiasme. D’autres contraintes m’ont souvent gêné, que ce soit la vie loin de chez soi pour la musique ou la solitude du dessinateur de BD devant sa planche. Bref, j’ai toujours voulu avoir un emploi salarié qui me laissait l’esprit libre à la création, sans stress ni pression. Même si parfois le fait d’avoir un blog m’a poussé à baisser la qualité de mes créations (je l’admets pleinement), j’ai actuellement le plaisir de ne dessiner que lorsque j’en ai vraiment envie. En cela, Fabrice Erre est un exemple : il publie des bande-dessinées tout en étant enseignant. Un nouveau modèle pour moi ?
Ce qui m’intéresse ici c’est avant tout de parler du rôle du lecteur, puisque je suis avant tout un grand lecteur de bande-dessinée. Il y a trois ans, j’avais évoqué dans un article de ma newsletter la nécessité d’être militant dans ses achats, 3ême si un lecteur n’achète jamais autant de bande-dessinées qu’il le voudrait réellement (ou alors il est très riche !). Cette analyse mérite d’être un peu étayée. En effet, à l’époque je parlais beaucoup des auteurs de blogs BD. Ces derniers tentaient de percer par leur activité sur internet et certains se voyaient édités, souvent par de petits et jeunes éditeurs (dont certains ont mis la clé sous la porte depuis). A l’époque, j’achètais alors beaucoup de ces premiers livres pour soutenir à la fois les maisons et les auteurs. Hélas, à force, je suis devenu particulièrement méfiant à l’encontre de ces ouvrages. En effet, après des premières bonnes surprises, j’ai trouvé que le niveau d’ensemble baissait sacrément. Des auteurs excellents en blog produisait des livres bien moins percutants (la difficulté de tenir sur des dizaines de pages ?), le tout dans des ouvrages pas toujours de grande qualité. Et je passe sur les (très) nombreux recueils fourre-tout. J’étais alors face à des auteurs qui, pour publier, se servaient de ce qu’ils avaient déjà en main plutôt que de proposer un véritable projet construit autour d’une idée. Dommage. Du coup, je me suis détourné de certaines maisons d’édition et, par là-même, de certains auteurs.
Parallèlement, mon amour pour les séries s’est tellement étiolé que je n’en achète presque plus. C’est tout juste si j’accepte d’acheter le premier tome d’un triptyque. Trop de désillusions, de séries sans fin qui se diluent… Sans même parler de celles qui changent de dessinateur en route ! Je privilégie désormais le one-shot, quitte à ce qu’il fasse 100 pages. De même, j’ai arrêté de faire pleinement confiance aux auteurs. Avant, j’achetais des livres les yeux fermés s’ils étaient scénarisés/dessinés par certaines personnes. Devant les déceptions, j’ai fini par être beaucoup plus prudent. Ainsi, l’un des auteurs que j’admire le plus, Blutch, a l’immense mérite de faire des ouvrages très différents. Ainsi, lorsqu’il propose Pour une finir avec le cinéma, j’ai passé mon tour. Ce livre axé sur des scènes de films cultes pour cet auteur. N’y étant pas réceptif, j’ai préféré attendre plutôt que d’être déçu. J’ai pu ainsi acheter son dernier ouvrage Lune l’envers, dont j’ai pleinement apprécié la lecture.
Le besoin de posséder en question
Le fait que je lise beaucoup en bibliothèque m’a permis de prendre du recul sur la notion absolue de possession. Ainsi, je ne souhaite plus avoir une grande bibliothèque majestueuse, mais quelque chose de cohérent. Ainsi, plusieurs critères entrent désormais en jeu pour qu’une bande-dessinée mérite son entrée dans ma bibliothèque :
– être magnifique graphiquement (au point que cela me serve de référence pour mon propre dessin)
– avoir un vrai potentiel de relecture (ce qui sous-entend une vraie qualité de scénario).
Cette analyse est vraie également pour la littérature et la musique (puisque j’achète encore des albums). Je suis donc passé outre deux tabous : l’occasion et la revente. Ainsi, j’ai revendu pas mal d’ouvrages (notamment des séries) qui ne me plaisaient plus du tout. Et parallèlement, j’achète en occasion les séries (anciennes) qui me plaisent. Car découvrir une série et devoir acheter 8 à 10 tomes, c’est compliqué. Ainsi, découvrant Le vent dans les saules (et sa suite, Le vent dans les sables) de Michel Plessix, j’avais neuf tomes à acheter. A une bonne dizaine d’euros le livre, j’ai préféré me rabattre sur l’occasion. Problème : l’auteur ne touche rien. C’est la même chose pour les Donjon (Sfar & Trondheim + plein de guests) où le nombre de tomes est mirobolant et que je complète petit à petit, sur plusieurs années.
Lire en bibliothèque : éviter les désillusions ?
Parallèlement, mes lectures en bibliothèque ont fortement baissé mon volume d’achat. Cela m’a permis d’éviter certains BDs qui m’attiraient sur le papier mais qui se sont révélés décevantes. A l’inverse, ayant découvert Cité 14 (Gabus & Reutimann) en bibliothèque, j’ai acheté les deux saisons complètes, ainsi que le spin-off. Même si, en soit, j’aurais préféré la version livret qui a disparu, car pas assez rentable…
La bibliothèque a chez moi favorisé les ouvrages forts, parfois un peu plus abruptes à la lecture, au détriment des ouvrages grand public. En cela, c’est plutôt une bonne chose. D’ailleurs, lorsque j’ai pu voir les chiffres des meilleures ventes de bande-dessinées de l’année dernière, je me suis aperçu que je participais peu aux blockbusters (mis à part le dernier Blacksad par Diaz Canales & Guarnido).
Un autre exemple intéressant est Bone de Jeff Smith. J’ai pris cette bande-dessinée en bibliothèque car je savais qu’un jeu vidéo avait été fait sur cet univers. Voilà le point de départ ! J’ai dévoré l’ensemble et c’est, selon moi, l’une des meilleures séries que j’ai pu lire. J’ai donc logiquement voulu l’acheter. Actuellement, son édition n’existe qu’en couleur… Or j’avais découvert Bone en noir et blanc et avait été transcendé par le trait au pinceau magnifique de Jeff Smith. Ce comics a été fait avant tout en noir et blanc et l’ajout de la couleur n’est qu’une manœuvre commerciale destinée à toucher un plus grand public. J’ai donc entrepris d’acheter cette série d’occasion afin de pouvoir profiter du noir et blanc. Après deux ans de recherche, j’ai trouvé dix des onze tomes… Je touche au but !
Au final, les intérêts des lecteurs et des auteurs divergent forcément. Car à la précarité réelle des auteurs s’oppose le pouvoir d’achat des lecteurs. Ma propre capacité d’achat m’a obligé à trouver des moyens de continuer à lire beaucoup sans m’appauvrir. Cela m’a poussé vers l’occasion et les bibliothèques. L’effet principal a été mon ouverture d’esprit, puisque j’ai pu découvrir de formidables ouvrages et auteurs que je n’aurais pu découvrir en librairie. En librairie, les livres tournent très vite, pas en bibliothèque…