Nouvel épisode à l’atelier : écrire sur une rencontre. Si le sujet est relativement simple, il m’a posé le problème suivant : j’avais déjà plusieurs fois traité d’une rencontre dans mes textes (apparition, des choses, vêtement). C’est assez logique puisque j’aime dans l’écriture, c’est parler des gens.
Je commence à prendre conscience que mes textes sont plus ou moins réussis. Après les avoir retravaillés, il y a des chances que je n’en publie en bouquin qu’une partie (en plus du Sauna). Le texte sur la rencontre, en l’état, mériterait un peu de dévelopement par exemple.
Voilà donc mon texte, toujours écrit en 45 minutes chrono.
La salle est noire et glacée. Le froid s’agrippe à moi, je frisonne. La soirée sera longue. La pièce sent la poussière, une vague odeur de naphtaline. Aux murs, des posters de Nelson Mandela, une carte de l’Union Européenne, une déclaration des Droits de l’Homme. On m’a mis dans une salle d’histoire-géographie, c’est toujours mieux qu’une salle de langues.
Je pose mon thermos à café, ma trousse et les bulletins d’élèves sur le bureau. Trente bulletins à rendre à raison de dix minutes par bulletin, ça fait… trop. Une éternité de douleur, de cris et de pleurs. Ces moments terribles où les espoirs s’évanouissent. « Non, votre enfant n’est pas un génie, et s’il pouvait éviter de se reproduire, ce serait un progrès pour l’Humanité. »
Premier rendez-vous : Nina. La petite pouffiasse de la classe. Toujours à rigoler comme une dinde, draguant les racailles et les mauvais garçons. Une couche de plâtre sur le visage, un gloss fluo sur les lèvres. Des pantalons blancs trop serrés et les seins à l’air. Elle a le feu au cul, c’est clair ! Cette année, s sa priorité ce ne sont pas ses leçons, ce sont les garçons. Si encore ce n’était qu’une petite cruche sans cervelle, mais elle porte sa vulgarité comme un étendant. Alors je me demande : comment vas être la mère ? Ce sont ses gènes qui s’expriment. Elle porte la responsabilité, de l’inné, comme de l’acquis.
— Monsieur Varenne ? demande une voix timidement.
Une femme se tient à la porte. Elle est entrée sans bruit, de peur de déranger. Elle n’a pas ce regard vide entouré de cernes qu’ont les parents d’élèves. Pas de traits tirés, fatigués, exténués par une journée de travail et de métro. Elle ne porte pas sur ses épaules tout le poids d’une vie. Elle est belle, simplement. Si le coup de foudre existait, ce serait elle.
— Je suis la maman de Nina.
Je lui fais signe d’entrer. Elle se déplace avec grâce, comme si ses pieds caressaient le sol. Je serre doucement sa main fine et légère. J’ai peur de la briser. On dirait des mains de pianiste. Je l’imagine les yeux mi-clos, jouant le Rêve d’Amour de Liszt. Et quand la dernière note s’éteindrait, elle soupirerait, me regarderait, un léger sourire aux lèvres et essuierait mes larmes.
Elle s’assit en face de moi. Le bulletin lui fait face. Son regard se tend et s’inquiète. Je voudrais la rassurer, mais comment ? N’y a-t-il personne pour lui dire que sa fille a été adoptée ? Qu’elle n’a rien à voir avec cette parodie de femme, grossière et obscène ? Comment ? Mais comment est-ce que cela a bien pu arriver ? Était-ce un accident ? À voir ce qu’était devenue sa fille, j’avais envie de ma ligaturer ma trompe. Faites des enfants, tiens ! Et voilà ce qu’ils deviennent : des abominations !
Je lui dresse le bilant de sa fille. Le portrait est peu flatteur, digne d’un tâcheron. J’essaie d’être objectif, de tempérer mes propos. « Après tout, lui dis-je, vous savez ce que c’est… L’adolescence… » Elle en rit. Son regard se fait mutin. Elle se passe lentement la main dans les cheveux, découvrant son oreille et son cou. Sa chevelure ondule, délicate et dorée, comme des épis de blé sous le vent du soir. Je voudrais que cet instant dure encore et encore, mais les autres parents se pressent, ils font pression pour que j’abrège, ces sans-cœurs ! Je ne suis pas qu’un professeur, je suis un homme, bon sang ! Alors elle repart, comme elle était venue, me laissant son regard et des espoirs déçus.
Trois heures plus tard, la salle de classe a retrouvé le silence. Ils ont rejoint femmes, enfants, compagnons et cochons. Je feuillette les bulletins restants. Je tombe sur celui de Nina. Que fait-il là ? Ai-je oublié de le donner à sa mère ? Non. Il est adressé au père. Ainsi donc, elle est divorcée. Cela expliquerait les comportements de Nina. Sa façon de provoquer, de se faire remarquer, d’essayer de concurrencer sa mère… Il lui faut une figure paternelle. Il lui faut un beau père. Et si j’étais celui-là ?
Du coup, une petite planche de rappel de Tout à l’Ego…