Depuis 2013, un auteur trace sa route sur BDAmateur.com. Il publie une bande-dessinée, « Une bible et un flingue », qui s’est vite faite repérer par son dessin réaliste travaillé et son univers post-apocalyptique. Au bout de tant de mois de travail, il était plus que temps que de l’interviewer pour savoir ce qui avait bien pu le pousser dans un projet aussi ambitieux.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Fred, je suis né en 1981. Je vis à Genève où je travaille dans le domaine de l’aide sociale… J’aime la BD, lire de la SF, courir dans la forêt et jouer aux jeux vidéos. Quand j’ai un peu de temps libre, je dessine des bandes dessinées amateur.
Pourquoi le pseudo William Lee ?
A l’époque où je me suis inscrit sur BDA (ndlr : le site BDamateur.com), je lisais « Le Festin Nu » de William Burroughs, un des livres les plus drôles qu’il m’ait été donné de lire. William Lee est le nom du personnage principal : un junkie qui perd son travail d’exterminateur pour avoir sniffé toute sa poudre à cafard, et qui se fait recruter par les agents de la mystérieuse Interzone…
« Les milles ans de souffrance qui précèdent Armageddon ont débuté… »
Peux-tu nous présenter « Une bible et un flingue » ?
« Une bible et un flingue » est mon premier grand récit complet. Il s’agit en fait du premier épisode d’une série de 4 récits d’une quarantaine de pages, mais on va déjà essayer de finir le premier. Le titre est censé évoquer un univers à mi-chemin entre le western et le post-apocalyptique, saupoudré de fondamentalisme religieux…
Dans un futur proche, un événement cosmique inattendu a brutalement mis un terme à la société telle que nous la connaissons. En l’espace d’un instant, presque la moitié de la population mondiale, ainsi que tous les enfants, ont disparu de la surface de la terre… Peu à peu, les survivants découvrent que ceux qui restent sont ceux qui ont des choses graves à se reprocher : les méchants, les tordus, les violents, les pervers, les égoïstes, etc. Nul ne sait selon quels critères le « tri » s’est effectué, mais le fait est là: il n’y a plus la moindre trace de bonté au sein de ce qui reste de l’humanité. Désormais, c’est chacun pour soi… Les milles ans de souffrance qui précèdent Armageddon ont débuté…
Dans ce contexte, un homme seul tente de survivre dans la campagne française, armé d’une bible et d’un flingue. Il hésite encore entre sauver son âme, ou juste sauver ses miches…
« Une bible et un flingue » est un survival, mais après une vingtaine de pages on ne sait toujours pas ce qui s’est passé…
Si j’avais tout raconté dans les quatre premières pages, mon récit n’aurait pas beaucoup de suspense… Je trouve amusant que le lecteur découvre l’ambiance de cet univers en même temps que le personnage. Après tout, il se déplace à pied, lourdement chargé et prudemment, il est donc obligé de suivre un rythme lent, comme ma narration…
Une autre raison, c’est que beaucoup des personnages qui habitent l’univers de ma BD ne savent pas eux-même ce qui s’est passé ou ne le comprennent pas… Le cosmonaute, par exemple, qui s’est réveillé un matin pour constater la disparition de ses deux coéquipiers, et qui ne reçoit plus aucune communication de la Terre depuis 3 mois. Il n’en sais pas plus que le lecteur, et le découvrira en même temps que lui…
Tu dis avoir repris la BD après 3 ans sans dessiner… C’est long, non ?
Être dessinateur amateur n’est pas tous les jours faciles, tu en sais quelque chose. On investit un temps et une énergie incroyable dans des projets qui ont des audiences ultra-confidentielles et qui ne permettront jamais d’en vivre… On le fait par passion et par amour, ou bien on arrête… Plus d’une fois j’ai perdu la passion, rangé mes crayons par manque de temps ou juste parce que le stress de la vie professionnelle a tendance à tuer ma créativité… Des fois aussi parce que je me sentait limité au niveau technique, que je ne me sentais pas capable de dessiner comme je le voulais…
Mais au fond de moi, je suis toujours en train d’inventer des histoires, et de les dessiner dans ma tête… La BD est une madeleine de Proust: quand je dessine mes histoires, j’ai l’impression d’avoir 7ans et de créer des univers incroyables avec mes playmobils… Le moteur c’est le plaisir enfantin de créer. Et j’y reviens toujours…
Comment as-tu abordé ce projet ?
Un soir de mai 2013, m’ennuyant ferme devant mon pc, j’ai machinalement pris une feuille blanche et un crayon et en 4h j’avais dessiné, encré et colorisé la première page de ma BD, qui s’inspirait pas mal du jeu vidéo sur lequel je passais des heures à l’époque (DayZ, pour les amateurs… Un jeu de survie avec des zombies). Le lendemain matin, en ouvrant le PC, j’ai regardé mon dessin et j’ai trouvé ça à la fois très bancal (techniquement) et très évocateur en terme d’ambiance, je me suis pris au jeu…
De là j’ai commencé à réfléchir à une histoire qui me permettrait de dessiner et de mettre en scène des choses que j’aime représenter graphiquement (la nature, les armes et les vaisseaux spatiaux principalement) et parler de sujets qui m’intéressent (le survivalisme, la religion, l’eschatologie, la psychologie des masses, etc.) sans être trop ambitieux, n’ayant pas à l’époque suffisamment confiance en moi pour me lancer dans un grand projet.
« Au début, c’était un peu freestyle… »
Au début, c’était un peu freestyle et je tâtonnais, mais petit à petit, mon histoire a pris forme, et je me suis complètement identifié à mon personnage, à qui j’ai d’ailleurs donné mes traits. C’est devenu un jeu pour moi, j’essaie d’imaginer comment je me comporterais face aux mêmes difficultés que lui… Ce que je ferais à sa place…
Vu que j’avance très lentement, il m’arrive de découper et scénariser une page que je ne dessinerais que dans plusieurs mois, donc avant de commencer une nouvelle planche, j’ai en général des semaines, voire des mois de réflexions préalables, tout en gardant une marge de manœuvre qui me permet d’improviser un peu. ça m’évite de m’ennuyer, et de me contenter d’exécuter simplement mon storyboard, je peux toujours partir dans un délire de dernière minute et l’inclure dans mon récit…
Tu es très à l’écoute des critiques et n’hésite pas à retoucher, voire refaire des cases…
Je suis très demandeur de ce regard critique, parce que je suis incapable d’avoir assez de recul sur mon propre travail… Mais j’ai aussi un coté perfectionniste, donc ça ne me dérange pas de refaire une case si la nouvelle version me semble plus correcte…« Cent fois sur le métier, remet l’ouvrage… » En fait, je pense que la meilleure manière de s’améliorer dans le dessin, c’est l’humilité…
Et puis clairement, certaines pages de ma BD n’auraient jamais pu être aussi réussies sans l’aide de certains BDA, qui se reconnaîtront… Ces gens, que je ne connais pas personnellement, ont pris du temps pour m’envoyer des croquis de correction qui m’ont beaucoup aidé et mis en lumière des choses que je n’avais pas vu…
Cela dit, certaines de mes cases m’ont demandé tellement de travail que je ne les retoucherais plus, même si elles ne sont pas parfaites… Un peu perfectionniste, mais pas masochiste non plus!
Que t’apporte la communauté BDamateur ?
Déjà, la fierté d’appartenir à un petit village d’irréductibles gaulois. À l’heure des réseaux sociaux, de la course aux likes et où le dialogue se limite à cliquer sur un pouce levé, j’aime l’idée de publier sur notre bon vieux site orange qui sent bon le web 1.0, avec son forum buggué et ses membres déjantés, ses petits jeux, ses cadavres-exquis et sa chouette émulation artistique…
J’aime cette communauté où personne ne se prend au sérieux, où l’élitisme est banni et la convivialité toujours de mise… Et puis il y a le talent de ses membres, évidemment.
(Et puis franchement, sur quel autre site aurais-je pu avoir l’immense joie de découvrir mon personnage de BD transformé par un camarade dessinateur en pin-up, les fesses à l’air, dans une pose aguicheuse, hein ? Où ? 🙂
« La colorisation, le sujet délicat… »
Parle nous de la colorisation.
Aïe, la colorisation. Le sujet délicat… là, je tâtonne clairement, je suis pas très sûr de ce que je fais. Je n’ai jamais étudié la théorie de la couleur, ou fais de peinture… Donc je vais au plus simple et j’essaie d’éviter au maximum de brûler la rétine du lecteur avec des couleurs trop flashy…
Je considère cette BD comme un entraînement pour la suivante. J’essaie des choses, des ambiances… Je regarde beaucoup ce qui se fait ailleurs, mais je reste très limité…
Pour tout vous avouer, ma maîtrise de Photoshop se limite à poser un calque produit sur mon encrage et à le colorier avec les 2-3 outils que je connais, comme je le ferais avec des feutres ou des crayons… J’essaie juste de faire en sorte que chaque page ait une identité, qu’il y ait un peu de cohérence, avec plus ou moins de succès.
Après plus de 2 ans, tu as dessiné une vingtaine de pages. Comment trouves-tu le courage de continuer ?
Le plaisir, tout simplement. Je m’amuse, je prend du plaisir à dessiner cette histoire… Il y a un an, je galérais un peu, mais je me réjouissait déjà de dessiner la partie avec le cosmonaute et la station spatiale, ça me motivait… Au point où j’en suis, je me réjouis déjà de dessiner la fin de l’épisode et les grandes révélations qu’il y aura… Si tu es obligé de chercher des raisons de continuer à faire une BD, c’est probablement que tu devrais arrêter et commencer un autre projet. C’est comme ça que je vois les choses…
Tu as l’idée d’en faire un bouquin quand tout sera terminé ?
Sans doute, je le ferais imprimer… Actuellement, ce projet n’existe que sous forme numérique, je n’ai aucune impression couleur de mes pages… C’est encore loin mais je me réjouis d’avance de tenir mon premier album dans les mains… Ce sera sans doute un tirage confidentiel, que j’offrirais aux BDA qui le souhaitent avec une petite dédicace… Certain d’entre eux suivent le projet régulièrement depuis 2 ans maintenant, ce sera ma façon de les remercier…
« L’âge, la maturité… Je gagne en patience… »
Qu’avais-tu dessiné avant de te mettre à ce projet ?
Des milliers de personnages divers et variés, depuis mon enfance… Mais aussi des strips, des petites histoires courtes… Au niveau BD, j’ai dessiné une histoire débile de Fantasy d’une douzaine de page quand j’avais 20ans, c’était vraiment très mauvais. J’ai aussi réalisé une dizaine de planches humoristiques dans des styles divers (principalement encre de chine et lavis) et j’avais débuté un projet de BD en couleur il y a 5ans, ça s’appelait « Hell » et j’avais pas été plus loin que 5 pages…
En fait, je m’étonne moi-même d’être allé aussi loin sur « Une bible et un flingue »… Ce doit être l’âge, la maturité ; je gagne en patience… 🙂
As-tu déjà des projets pour la suite ?
Des dizaines, mais je n’en réaliserais aucun. Si je commence à dessiner autre chose, ce sera la fin de « Une bible et flingue ». Je me connais, si je me disperse, je ferais plus rien. Une chose à la fois, jusqu’au bout… Et vu le travail qu’il me reste, je préfère rester concentré…
Explique-nous les étapes de la création d’une de tes planches.
En général, ça commence par un message sur BDA qui me signale que je n’ai rien posté depuis des semaines et qu’on attend la suite, alors je me sors les pouces du… et je me remet au travail.
Je ressors mon storyboard et constate que ça ne va pas du tout, donc je refais un découpage sommaire, au stylo, sur une feuille A4… Ensuite j’attaque mon crayonné, qui est en général un peu crade… Selon ce que je dois dessiner, c’est à ce moment-là que je récupère dans un dossier toutes la doc et les photos dont j’ai besoin…
Ensuite je passe à l’encrage, et c’est là que je dessine vraiment ma planche… Mes encrage sont beaucoup plus soignés que le crayonné, j’y rajoute des tonnes de détails, j’y corrige directement les petites erreurs d’anatomie ou de perspective, je texture un peu. J’utilise des stylos Micron Pigma de différentes tailles, et un gros pinceau-plume pour les rares aplats…
Ensuite je scanne, je fais des tas de retouches sur l’encrage… Je triche beaucoup avec mon trait, je bidouille mes dessins pour éviter de devoir redessiner des trucs à la main… Lorsque j’ai un line correct, je m’attaque à la colorisation, pour laquelle j’utilise vraiment les fonctions les plus basique de mon logiciel…
Lorsque c’est terminé, je poste ma planche sur BDA et j’appuie frénétiquement sur F5 en attendant les premières critiques et commentaires…
Cite des auteurs BD que tu aimes particulièrement et dis nous pourquoi.
Ce n’est pas très original, mais en ce moment je suis fasciné par le travail de Manu Larcenet… « Blast » est la meilleure BD que j’ai lu ces dernières années. Il y a tout : un graphisme incroyable, des personnages vivants, une histoires fascinante qui nous plonge dans les tréfonds de l’âme humaine… je suis resté scotché…
Sinon, j’aime beaucoup Robert Crumb, il m’a toujours fait marrer…
Cite des auteurs BD amateurs que tu aimerais nous faire découvrir.
Lucie F., l’auteure d’Astre Rouge, qui nous promet du très lourd et dont je me réjouis de pouvoir acheter l’album… A découvrir absolument : http://lucief.fr/web/category/news/
Un petit mot pour la fin ?
Merci à toi pour l’intérêt que tu portes à mon travail, et qui est réciproque… A bientôt pour de nouvelles aventures, armé jusqu’au dents et prêt à tout pour survivre ! 🙂
Pour lire l’histoire : http://1bibleand1gun.wordpress.com/
Super interview, ça donne envie de découvrir son travail… et même d’aller faire un tour sur BDA!
Merci pour ce moment (comme on dit) Belz!
BDA est un bon endroit pour avoir des remarques constructives ! Je conseille !
Interview très sympa ! Merci pour ce travail Belzaran, et pour avoir joué le jeu (pas HD :p) Fred, c’est cool à lire.
Du coup on en apprend plus sur le scénario et on reconnait bien une partie de l’apocalypse, 1er enlèvement. On comprend mieux le titre au fur et à mesure… 😉
Merci Kenji !
Je ne voudrai pas avoir l’air du rabat joie de service ou du râleur patenté, mais j’ai quand même une remarque à faire.
Que ce soit pour Belzaran ou William Lee, je trouve dommage de faire un tel boulot (bravo pour ce que vous faites et pour votre persévérance) avec un scénario aussi … plat.
Vous avez des idées de scénario (qui sont bonnes) mais ce ne sont que des idées, pas des scénarios. Et un scénario ce n’est pas la mise bout à bout d’idées.
Je trouve dommage de faire tout ce boulot pour avoir au final une narration peu intéressante. La BD est un art qui raconte des histoires avant toute chose.
Lisez les 19 premières pages de « une bible et un fusil » et 19 pages d’une BD « classique » (Tintin ou Asterix ou même les bidochons par exemple) puis comparez le nombre d’éléments que l’on a appris, le nombre d’actions qui se sont déroulées, combien de personnages nous ont été présentés, combien d’événements ont eu lieu, comment l’intrigue est avancée ……
Sans véritable scénario, on a peur de tout dire trop vite et de ne plus avoir de chose a raconter après, alors on dilue (c’est vrai pour la BD, les romans, les films…) et bien souvent on s’auto justifie en se disant qu’ainsi on présente son univers qui est super riche et super bien expliqué au lecteur.
Un tuyau : « construire un scénario » de Yves Lavandier
Je pense que si tu compares nos projets actuels à de la BD classique, c’est qu’on ne lit pas les mêmes bande-dessinées, tout simplement.
Mon commentaire n’était pas agressif (au contraire je vous admire dans votre travail et votre persévérance) et je ne voulais pas comparer ce que vous faitres à d’autres BD.
Je dis simplement que si nous sommes d’accord sur le fait que la BD c’est raconter une histoire, il doit y avoir une histoire consistante derrière les dessins.
Oui, mais les BDs que tu as citées sont (historiquement) prépubliées en magazine et ont donc un rythme naturellement soutenu lié à cette publication pré-album.
Une autre remarque : sauf erreur, l’ISS ne dépend pas de Houston.
Bonjour
Merci pour vos remarques.
A ma connaissance, la station spatiale internationale dépend de deux centres de contrôle: le contrôle de vol qui se trouve à Houston, et le centre de contrôle de l’ATV, qui s’occupe du ravitaillement, depuis Toulouse…
Mais dans le cas où je me serais trompé, je pense que le lecteur ne s’en offusquera pas, Houston étant historiquement le centre de contrôle de la NASA que tout le monde connaît…
Cordialement
W.Lee